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Mon Japon à moi

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15 août 2011

La « Voie du thé »: un aspect fondamental de la mentalité japonaise




Introduction.

Il serait difficile, vain même, de prétendre expliquer en quelques mots la mentalité d'un peuple dont l'histoire est multimillénaire et la pensée, l'héritage et la conjugaison de maintes évolutions au travers des siècles. Les Japonais d'aujourd'hui sont des gens de notre époque, dont la mentalité est fortement influencée par les tendances internationales. Pourtant, et c'est ce qui fait généralement son charme, cette mentalité est encore très profondément marquée par des convictions et des fondamentaux remontant à plusieurs siècles – quand ce n'est pas la nuit des temps...

Du Japon d'aujourd'hui, nous admirons en particulier ses arts, mot auquel nous ajoutons volontiers l'adjectif « martiaux ». Ma toute première remarque concerne cette dénomination. Traduire Budô par art martial me semble, sinon incorrect, au moins susceptible d'en empêcher la bonne compréhension. Et je resterais volontiers sur la traduction littérale et préfère de loin parler de « Voie de la guerre » ou « Voie martiale ». La « Voie » me semble en effet bien plus adaptée que le mot « art », elle exprime l'un des critères fondamentaux des différentes disciplines qui composent le Budô : l'accomplissement de l'Homme à travers un (long) entraînement du corps et de l'esprit, un (long) « cheminement » physique et spirituel. Dans la mentalité japonaise, bien plus que le but ou le résultat qui ne sont quasiment jamais atteints, c'est bien le cheminement suivi pour tenter d'y parvenir qui est le plus important. 

Et parce qu'il s'agit toujours d'accomplissement de l'Homme et non de la simple maîtrise d'une technique particulière, les dô ou « voies » au Japon ne concernent pas seulement ce qui a trait à la guerre mais également d'autres formes d'arts, notamment celui des fleurs (Kadô), de la calligraphie (Shodô) ou encore celui du thé (Chadô ou Sadô).

Cette « Voie du thé » ou Chadô (prononcer « tchadoo ») est depuis bien longtemps en France connue sous la dénomination de « cérémonie du thé ». Là aussi, je voudrais relever la maladresse de cette traduction. C'est en réalité ce qu'on appelle Chakai que l'on pourrait traduire ainsi. Mais là encore, cette traduction peut conduire à ne voir que la partie « cérémoniale » ou rituelle - c'est-à-dire une partie très réductrice - de ce qui est en réalité un long moment partagé par un petit groupe de personnes, certes à goûter à du thé préparer selon un certain rituel, mais aussi manger, boire du saké, discuter de bien des choses de la vie... Il me semble alors plus heureux de parler de « Rencontre autour du thé ». Une rencontre, certes avec le thé, mais surtout avec un lieu, des êtres humains, une façon de penser, d'échanger et de se comprendre. Et plus généralement, le Chadô est une discipline complète de l'Homme sur la voie de son accomplissement, dans l'objectif final d'optimiser ses rapports avec son environnement naturel et humain. Il serait bon, dorénavant, qu'on ne parle plus de « cérémonie du thé » mais bien plus globalement de « Voie du thé » ou encore, de la même façon qu'on a naturellement adopté en France les appellations originales de Jûdô, Aikidô ou autre Kendô, qu'on se familiarise avec le mot Chadô (sans doute plus heureux en français que Sadô qui, bien que souvent considéré en japonais comme plus élégant, prête en revanche à sourire dans notre langue, rappelant un peu trop facilement et bien malencontreusement ce vocable issu de pratiques décrites par un certain Marquis de Sade...).



Le Chadô: une voie qui fait la synthèse de bien d'autres...

Pourquoi le fait de préparer ou boire du thé selon un certain rituel a-t-il pris une telle importance au Japon et, de plus en plus, attiré l'attention et suscité de l'étranger? La raison principale est sans doute que cette « Voie du thé » permet d'approcher et peut-être de mieux comprendre l'essentiel de la mentalité japonaise. Et si elle offre une telle possibilité, c'est sans doute parce que le cheminement sur la voie du thé nécessite de cheminer également sur d'autres voies, celle de l'arrangement floral, celle de la calligraphie, celle de la céramique, celle de la gastronomie, mais aussi celle de l'architecture, de l'habillement, etc... L'apprentissage et la pratique de certains arts martiaux peuvent également contribuer à progresser sur la voie du thé. Et parce que le bouddhisme, et notamment le bouddhisme zen, ne peut en être dissocié, celle-ci est donc, parmi toutes les « voies » japonaises, celle qui réussit peut-être le mieux la synthèse de toutes et, de ce fait, de comprendre une grande partie de la mentalité de ce pays.

En participant, en tant qu'acteur ou en simple spectateur, à une « cérémonie du thé », c'est-à-dire à ce moment particulier d'une Chakai dédié à la préparation et la dégustation du thé, on peut s'apercevoir de la variété des voies et des disciplines qui y sont impliquées. Le pavillon de thé est d'une architecture extérieure comme intérieure très particulière. Le jardin qui l'entoure répond à des critères bien précis. Chaque accessoire utilisé (Chadôgu) concerne des artisanats, voire un arts, ancestraux au Japon: la céramique (la combinaison de la terre, de l'eau et du feu), le bois, le bambou, le papier, le tissu... L'art floral est toujours présent au travers d'une plante (la seule composante qui symbolise la nature et donc le « vivant » dans un environnement global « inerte » fabriqué par la main de l'homme), tandis que la calligraphie permet d'écrire et de transmettre aux invités le thème de la rencontre du jour. 

Assister à une cérémonie du thé, c'est apprécier la grâce et la distinction de gestes simples dictés par un rituel rigoureux, mais c'est aussi et surtout approcher de très nombreux aspects de la culture traditionnelle et parfois ancestrale japonaise.



Mieux comprendre la mentalité japonaise.

Lorsqu'on découvre la culture japonaise, on peut être dérouté, au-delà du simple exotisme, par la rencontre avec deux mondes qui semblent opposés: celui d'un raffinement extrême, qu'on peut même qualifier parfois de très luxueux, auquel « s'affronte » un monde fait de simplicité, de sobriété, voire même de dénuement extrême. Et apprendre le Chadô permet de comprendre en quoi ces deux mondes, dans la réalité japonaise, ne s'affrontent pas mais au contraire se confondent et se complètent. A l'opposé de la mentalité occidentale qui bien souvent tend à s'échapper du dénuement (qui est assimilé à la pauvreté) pour aller vers le raffinement et le luxe (qui suggèrent la richesse et donc la réussite), la mentalité japonaise considère qu'il y a bien plus de richesse dans la simplicité, et que l'Homme ne s'accomplit réellement que s'il parvient, une fois ces richesses acquises, à les dépasser par le dénuement et la simplicité.
Je n'entrerai pas ici dans tous les détails et les enseignements du Chadô, je n'en aurai ni la place ni, surtout, les compétences. Mais voici quelques informations qui permettront sans doute de mieux appréhender le paragraphe précédent.

Comme beaucoup de choses au Japon, la « Voie du thé » est d'origine chinoise. Le thé, en tant que « simple » boisson, a semble-t-il été introduit au Japon par un moine bouddhiste au IXe siècle. Mais c'est au XIIe siècle qu'apparaît le matcha, un thé vert (non fermenté ni fumé) en poudre. Et s'il a été à l'origine surtout consommé par les moines bouddhistes, c'est très certainement moins pour des raisons vraiment religieuses, comme le sous-entendent un certain nombre de thèses, que pour son pouvoir « excitant » qui, comme la caféine du café, leur permettait de se tenir éveillés lors des longues séances de méditation. Et c'est sans doute pour des raisons analogues que ce thé se répandit dans le milieu des samourai puis dans l'aristocratie japonaise. Celle-ci en importa tout d'abord tout le luxe qui entourait le thé en Chine, préparé et consommé par les « grands » selon un rituel « noble » et des accessoires d'un très grand raffinement et de grand luxe. 
Mais la mentalité japonaise, de tous temps comme aujourd'hui encore, ne se satisfait jamais de l'importation pure et simple de produits ou de coutumes étrangères, elle « japonise » tout ce qui provient de l'extérieur pour en faire quelque chose de « vraiment japonais ». Et c'est probablement Sen no Rikyû, connu pour avoir codifié la cérémonie du thé au Japon au XVIe siècle, à qui l'on doit en plus l'esprit qui a guidé cette codification. Profitant lui-même de l'enseignement de ses maîtres comme de sa position sociale, Rikyû a pu imposer aux plus grands seigneurs au service duquel il a été une cérémonie du thé en parfait accord avec ce qui lui semblait être l'essence de la mentalité japonaise. Au raffinement et luxe chinois, il opposa et imposa le Wabi, que je résumerai ainsi: en accord avec la Nature, par définition « parfaite » mais dans laquelle n'existe aucune forme géométrique... parfaite, la Nature dans laquelle rien n'est jamais éternel mais tout est au contraire éphémère, en accord avec les grands principes du bouddhisme zen, le Wabi offre, à l'image de la Nature, la perfection dans l'éphémère, la perfection dans la sobriété ou même le dénuement, « la perfection dans l'imperfection »...

Ainsi, au luxe qui sévissait dans la grande aristocratie japonaise de cette époque, il préféra la simplicité. Il fit construire de petits pavillons de thé sans ornement apparent dans les palais somptueux ou au coeur des quartiers riches des villes. Il y mis de petites portes d'entrée, qui obligent les invités à s'agenouiller pour les franchir, dans une attitude de grande humilité. Il imposa l'utilisation d'accessoires, et notamment de bols pour le thé (Chawan) paraissant imparfaits, comme à peine travaillés. Et une cérémonie du thé fait l'économie de la parole, on n'y parle que très peu, Mais que le lecteur ne s'y trompe pas: Dans le dénuement de certains pavillons de thé, on peut y voir l'immensité de l'univers. Comme on dit pouvoir le contempler dans un bol de thé. Et si les convives restent silencieux, un échange d'un autre type que celui de la parole s'instaure. Sans qu'un mot ne soit prononcé, on peut « sentir » (je ne sais en français quel mot utiliser...) la pensée de l'autre, son état, ses préoccupations, ses joies ou ses peines...

Ne dit-on pas souvent – sans d'ailleurs vraiment comprendre comment cela est possible – que les Japonais communiquent aussi autrement que par les mots? En réalité, même si c'est une faculté qui peut être relativement généralisée au niveau de la nation dans son ensemble, les pratiquants chevronnées du Chadô sont particulièrement capables de ce que nous, en France, avons souvent du mal à percevoir ou à reproduire...


Au coeur de l'énigme, la respiration.

Avez-vous déjà assisté à un combat de Sumo à la télévision? Et surtout entendu et compris les remarques du commentateur? Lorsque l'heure est venue pour les deux lutteurs d'engager le combat, on les voit parfois faire mine de se précipiter l'un contre l'autre, une fois deux fois, trois fois... et tous deux se relèvent pour recommencer la préparation finale. Ou lorsque l'un des combattants se projètent trop vite sur son adversaire qui n'est pas prêt, l'arbitre central arrête le combat et les deux lutteurs se préparent à nouveau. Dans ce genre de cas, il n'est pas rare d'entendre dire iki ga attenakatta ou « leur respiration ne correspondait pas ».

Ce commentaire est hautement révélateur de la pensée japonaise: l'important entre deux personnes est qu'elles puissent communiquer. Avec un esprit de paix, de respect, etc... Et pour que ces personnes puissent communiquer, l'essentiel est dans leur respiration. Bien sûr, il convient de comprendre le mot respiration à un double degré. On pourrait ainsi parler de « longueur d'onde similaire », « d'entente » ou encore de « communion ». Mais au premier degré, chacun doit savoir, physiquement, maîtriser sa respiration, ce qui a pour effet de lui permettre d'être dans un état d'ouverture d'esprit vers tout ce qui l'entoure, que cela soit la Nature, ou que cela soit ses congénères. Peut-être le lecteur comprendra-t-il mieux l'importance de cette respiration si je rappelle qu'on la retrouve comme élément essentiel de beaucoup de disciplines. Ne serait-ce que celle du chant. Tous les grands chanteurs maîtrisent leur respiration. Et la façon de respirer est souvent décrite avec les mêmes mots, que l'on soit en Orient ou en Occident: il faut savoir respirer avec le ventre. Il en va de même pour le Chadô. Et c'est pour pouvoir respirer convenablement que le corps doit avoir une attitude droite. Celle du zazen, ou zen assis. Et celle du maître de thé, comme celle de ses convives.



En guise de conclusion de ce petit article, je reviendrai sur l'importance de l'apprentissage, du « cheminement ». Tous ces arts japonais que j'ai évoqués sont des « dô », des « Voies ». Une grande patience, une grande humilité sont nécessaires, et ce n'est sûrement pas à la lecture de quelques lignes que l'on pourra prétendre mieux les connaître. Mais peut-être le lecteur aura-t-il au moins perçu, ou effleurer, la profondeur de ce qui, aux yeux de beaucoup, n'est souvent que rituel exotique et bien éloigné de la « vraie » vie.
Dans une cérémonie du thé, bien sûr les gestes ritualisés ont leur importance. Bien sûr il y a des règles que l'on se doit de connaître, d'apprendre et de maîtriser, même si l'on n'est que participant. Mais l'essence de la cérémonie du thé n'est pas dans ces gestes. L'important n'est pas de tourner deux fois ou trois fois le bol avant de boire ou avant de le rendre. L'essentiel est de percevoir, au-delà de ces gestes rituels, l'importance de l'attitude qui autorise une respiration digne de ce nom, et qui constitue elle-même la condition sine qua non pour parvenir à cette ouverture d'esprit propre à la « vraie » communication entre êtres humains.

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6 février 2010

Inakadate

(merci à Clotilde K. qui m'a fait découvrir ce village)
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...car, oui, Inakadate est le nom d'un village japonais, dans la préfecture d'Aomori, à l'extrême nord de l'île principale d'Honshu. Aomori est célèbre notamment pour sa production de pommes et pour être l'endroit d'où l'on embarque pour traverser le détroit de Tsugaru et se rendre dans l'île de Hokkaidō

07inakadate03Je ne connaissais pas ce village. Rien de vraiment étonnant à cela, c'est, à l'échelle du Japon et de ses mégalopoles, ce qu'on pourrait appeler un petit coin perdu. D'une population d'à peine plus de 8,500 habitants, l'Inakadate actuel est né il y a 55 ans, le 1er avril 1955 exactement, de la réunion de deux villages voisins. Un titre de gloire cependant: c'est le village d'origine d'un fameux lutteur de Sumō des années 60, Tochinoumi, qui devint Yokozuna (titre suprême) en 1963.


07inakadate0107inakadate16Pour un tout petit village, comme il en existe beaucoup au Japon, Inakadate est cependant doté d'une très belle mairie, comme on peut le voir sur la photo de gauche. Et vue de l'arrière, cette mairie offre un spectacle assez particulier: le champs de riz qui la borde semble être atteint d'une étrange maladie qui noircit les plants, comme si certains étaient brûlés, carbonisés...

Mais en réalité, il n'en est rien. Si ce champs présente des couleurs et des formes pour le moins inhabituelles, il s'agit en fait d'une volonté de sa municipalité qui a mis au point il y a environ 25 ans une attraction touristique étonnante qui, pour moi, est particulièrement représentative de l'esprit japonais: mêler la tradition à la modernité, la science à l'art, le sérieux à l'humour et à l'insolite. Une entreprise non pas individuelle mais collective.

ATT00051ATT00087En effet, tous les ans, dans les derniers jours de mai ou les tous premiers de juin, plus de mille habitants de ce village se retrouvent dans ce champs pour y planter des petites pousses de riz. Des pousses issues de trois espèces différentes, qui présentent la particularité d'avoir des couleurs différentes elles aussi au fur et à mesure de leur croissance: une verte, une jaune clair et une noire.

Et si le champs est envahi d'une façon qui peut paraître bien anarchique à première vue, les plants, eux, sont disposés de façon bien précise. Impossible de s'en apercevoir au début, le résultat n'apparait que plusieurs semaines plus tard et s'affirme progressivement pour devenir étonnant, surprenant, incroyable...! Je vous laisse le découvrir par vous-même:

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Eh oui... ces Japonais sont plein d'inventivité, de créativité, de poésie et... de sens commercial. Afin de développer la notoriété de leur village inconnu, les habitants d'Inakadate réalisent, tous les ans, une véritable oeuvre d'art et une prouesse agricole qui en fait une véritable curiosité locale qui attire les touristes ébahis et amusés. creation_nocturne_339670Il nous arrive aussi, en France, d'apercevoir des champs sur lesquels on a réalisé une oeuvre, parfois très réussie. Ou encore, lors des retransmissions du Tour de France, d'apercevoir parfois le peloton traverser des régions agricoles où un paysan passionné aura dessiné dans son champs de blé un vélo ou une figure géométrique pour saluer le passage de ses champions favoris. Mais il s'agit là le plus souvent du fruit du passage d'une faux ou d'un tracteur et d'une illustration résultant du contraste entre les plants fauchés et ceux encore debout.

Mais à Inakadate, c'est une autre technique qui a été choisie, et qui montre bien l'esprit japonais qui adore mêler la planification humaine à la fantaisie naturelle. C'est ainsi que chaque année, on peut découvrir une oeuvre issue de l'art classique japonais comme la reproduction partielle d'une estampe de renom, mais aussi un héros de manga, voire même une figure célèbre de l'Histoire universelle... Voici donc, pour terminer cette petite chronique insolite, quelques exemples des réalisations passées qui ne manqueront sûrement pas de vous surprendre et vous faire sourire...

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11 janvier 2010

Taijin Kyōfushō

Le japonais est une langue qui ne s'est guère internationalisée, mais il est néanmoins un certain nombre de mots ou expressions japonaises qui ont réussi à franchir les frontières de l'archipel extrême-oriental et se répandre à travers le monde. C'est ainsi que chez nous, en France, quelques mots se sont intégrés à notre vocabulaire, avec plus ou moins de rapport avec leur signification d'origine d'ailleurs. Par exemple, le mot tsunami, terme "scientifique" adopté de plus en plus dans notre langage courant pour remplacer celui de "raz-de-marée". Surtout depuis celui de décembre 2004. Moins funeste, l'origami qui désigne, comme chacun le sait aujourd'hui, ces figurines diverses réalisées grâce au simple (mais parfois complexe!) pliage d'une feuille de papier, et qui a réussi à s'imposer en France grâce à ce que je serais personnellement tenté de nommer le "japonisme, 2ème impact" (je m'en expliquerai bientôt dans un nouvel article). Jusqu'à devenir l'appellation officielle - et le slogan publicitaire - des forfaits de téléphonie mobile de la société Orange, sans aucun rapport donc avec ce qu'il désigne normalement. Mais le mot japonais le plus utilisé en France actuellement (et même depuis pas mal d'années déjà) est très certainement le mot zen, pour évoquer le calme, la tranquilité, la sérénité, voire même une certaine sagesse. Sans que la plupart de ceux qui l'emploient n'ait vraiment connaissance des enseignements du bouddhisme japonais dont il est issu, ce mot est complètement entré dans notre langage de tous les jours comme adjectif courant, quasi français.

Il est une autre expression japonaise qui est entrée dans le vocabulaire français sans avoir vraiment d'équivalent dans notre langue, c'est d'ailleurs pour cela que les très rares Français qui la connaissent l'utilisent telle quelle. C'est le groupe de mot taijin kyōfushō. Une expression encore bien peu usitée dans notre langue, mais que tous ceux qui veulent mieux comprendre la mentalité japonaise devraient pourtant connaître. Taijin signifie "entre les êtres humains", kyōfushō voulant dire "la maladie (ou le trouble ou encore le syndrome) de la peur (ou de l'angoisse ou encore de la crainte)" ou autrement dit, "la phobie". Il s'agit donc d'un syndrome qui s' apparente à ce qu'on nomme chez nous les "phobies sociales",  qui désigne en fait un ensemble de troubles de relations interpersonnelles, dont l'origine est la peur ou la crainte de représenter une gêne, voire même une nuisance, pour autrui. Et si je suis convaincu que ce mot devrait être mieux connu chez nous, c'est non pas que le (vrai) syndrome soit excessivement développé au Japon (même s'il est en général reconnu qu'il concerne principalement les Japonais ainsi que les Coréens), je veux dire en tant que réelle pathologie nécessitant des soins médicaux, mais c'est parce que ce que le taijin kyōfushō est à mon sens largement entré dans la culture et la mentalité japonaise - sans qu'il soit donc néanmoins possible de parler pour cela de réelle maladie ou de comportement pathologique.

Il est en effet très fréquent de rencontrer des Japonais semblant atteint par le
taijin kyōfushō (je tiens à insister sur le "semblant"). Il s'agit même d'un véritable état d'esprit quasi collectif. Bien des Japonais préfèrent éviter toute relation avec un autre, et surtout lorsque cet autre est un étranger. Non pas toujours de crainte de gêner ou de nuire,  ça ne  va pas souvent jusque là, mais plus simplement de peur de ne pas savoir se comporter de façon adaptée, de ne pas être bien compris, ou de ne pas bien répondre à l'attente de l'autre. Sans doute serez-vous nombreux, parmi les lecteurs de ce petit article qui auront fréquenté des Japonais, au Japon ou en France, à avoir croisé des gens qui se comportaient de façon très effacée, très discrète, quasi inexistante. Pour ne pas se faire remarquer, parce qu'ils avaient comme peur de déranger. Ou encore, combien d'entre vous, qui serez allés au Japon, aurez eu cette expérience un peu déroutante qui consiste à poser une question simple à un Japonais (par exemple, l'adresse d'un édifice très connu ou le moyen de se rendre dans un lieu tout proche), d'être persuadé que votre interlocuteur ne peut pas ne pas avoir compris tellement le formulé de votre question était claire et simple.... mais de voir celui-ci s'esquiver en agitant sa main de façon négative et quasiment se sauver sans demander son reste! Moins caricatural (et franchement comique parfois...) mais beaucoup plus fréquent, ces situations où, à des questions posées assez légèrement parce que paraissant, à nous Français, assez innocentes, on ne reçoit en retour qu'une réponse vague, précédée d'une période d'hésitation qui a déjà en soi toutes les raisons de vous surprendre en raison de sa longueur. Voir même, pour toute réponse à un avis émis, un "sō desune...", que l'on serait tenté de traduire par "oui, en effet..." et donc une réponse plutôt affirmative, mais qui, en réalité, signifie très souvent "vous n'y êtes pas du tout, mais j'ai peur de créer chez vous une gêne ou de vous blesser en vous opposant un "non, pas du tout" trop catégorique, alors je préfère cette expression vague qui donne au moins l'illusion que votre point de vue est possible et que je le respecte et je laisse à autrui le soin de trouver la façon adéquate de vous faire comprendre que vous êtes dans l'erreur"... Voilà tout ce que peut parfois vouloir dire "sō desune..." !

Les touristes japonais qui visitent la France sont je crois considérés comme les étrangers les plus agréables, les plus discrets, les "meilleurs" des touristes du monde. Ils ont cette image de gens polis, réservés, propres, discrets, bref, ils sont très appréciés de l'immense majorités des hôtels, des restaurants ou encore des lieux touristiques qui font la fierté de notre beau pays. M'est avis que, si cela est bien sûr aussi l'expression d'une éducation bien faite au niveau individuel (la preuve, c'est qu'on croise parfois des individus chez qui cette bonne éducation brille surtout par son absence...!), cette attitude est je crois essentiellement due à une mentalité nationale dont une des premières règles impose aux Japonais de ne pas se faire remarquer, de ne jamais faire de vagues, pour ne pas risquer d'importuner son voisin ou de troubler la sérénité de son environnement.

Je ne voudrais ici poursuivre en réflexions plus ou moins douteuses, comme savoir si la crainte de nuire à autrui est aussi en partie responsable du phénomène otaku au Japon, ou encore analyser le rapport qu'il peut y avoir entre cette grande retenue dont les Japonais se doivent de faire preuve et le total dédain des autres dont ils ont montré qu'ils sont aussi capables (politiquement, militairement ou même commercialement parlant). Mon souhait, dans cet article, se borne à ne mettre en lumière qu'un mot, en l'occurence deux,
taijin kyōfushō, qui de mon point de vue expliquent bien des comportements qui à nous Français semblent parfois surprenants, déroutants, difficiles à comprendre. Aller plus loin et examiner en détail tout ce qui peut, dans la mentalité japonaise, trouver origine dans cette "phobie" serait sans doute long et fastidieux, et expliquer ici à tous ceux qui voient d'autres raisons à l'attitude parfois impénétrable des Japonais  pourrait s'avérer un peu périlleux: j'aurais trop peur de froisser plus d'un lecteur et de les voir me poster un commentaire que je ne saurais peut-être interpréter avec justesse: "sō desune..." !
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10 octobre 2009

Humour

Les Frères Taloche


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Florence Foresti

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Ultima Recital

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26 septembre 2009

Les maux du sumō

Comprendre le Japon actuel n'est pas chose aisée, certes, mais quel pays, quelle culture, quelle mentalité pourraient être décodés et expliqués de façon globale et définitive en quelques mots ou en quelques phrases? L'Empire du Soleil Levant n'est sans doute à ce titre ni exceptionnel, ni vraiment différent des autres pays du monde. Pourtant, il me semble possible d'évoquer et d'entrevoir (à défaut de vraiment les expliquer) beaucoup d'aspects d'une mentalité en même temps simple et complexe à travers l'une de ses manifestations sportives et culturelles des plus simples... et des plus complexes aussi, je veux parler du sumō. Simple par ses règles de base (expulser son adversaire de l'aire de combat ou lui faire toucher le sol par n'importe quelle partie de son corps autre que la plante de ses pieds) et infiniment complexe par tout le rituel et l'esprit qui le caractérisent. Parle-t-on toujours de "tradition et modernité" en évoquant le Japon? Le sumō en est certainement l'un des exemples les plus évidents. Comme il illustre aussi de mon point de vue tout ce qui fait le Japon d'aujourd'hui, les difficultés économiques, les errances politiques, une crise de moralité, etc... Le petit monde du sumō d'aujourd'hui semble cristalliser et concentrer en lui-même bien des maux qui s'abattent sur le Japon contemporain. Mais aussi nombre de ses bons cotés. Et s'il me semble qu'un auteur inspiré pourrait, sans exagérer, écrire un livre entier pour traiter pleinement ce sujet, je vais tenter d'en faire ici un bien plus court exposé, en priant le lecteur d'excuser les inévitables raccourcis ou omissions qu'impose cet exercice de style.

Le sumō est sport à part au Japon. Il est ce qu'on appelle un kokugi, ou "art national". A ce titre, il est très différent des autres grands sports qui sont les plus populaires au Japon, le baseball, le football ou autre athlétisme. Ou même des autres sports d'origine japonaise et que l'on appelle arts martiaux, même si ceux-ci mettent en avant des valeurs morales ou philosophiques jugées dans la mentalité japonaise définitivement plus importantes que leurs aspects purement sportifs. Même s'il convient de préciser ici que cette appellation de kokugi pour désigner le sumō n'est apparue semble-t-il qu'en 1909, soit il y a juste un siècle très exactement.
Le sumō aurait une histoire vieille de 1500 ans, et ses origines seraient à trouver aussi bien dans l'importation de techniques de lutte venues de Corée, de Chine ou de Mongolie que dans la mythologie shintō. Il y est fait allusion dans le fameux Kojiki datant de 712 et considéré comme le premier livre d'écriture japonaise. Cette longévité fait qu'il constitue sans doute la meilleure illustration de ce que l'on peut appeler la "tradition" dans le Japon contemporain. Mais aussi parce qu'au-delà de la pure longévité, il comporte en lui toutes les valeurs morales chères au coeur des Japonais: un code de l'honneur souvent assimilé à celui des samourais, l'usage maitrisé de la force physique, la modestie et l'humilité même (ou surtout) des plus forts, la nécessité d'un entraînement défiant la volonté humaine commune... Un sumōtori ne lève jamais les bras en signe de victoire, répond à peine aux interviewes des journalistes, n'exprime ni sa joie ni sa tristesse si ce n'est que très discrètement, et bien entendu encore moins les souffrances dues à une blessure, à un entraînement extrêmement exigeant, voire même à ce qu'on appelle souvent (un peu par erreur de mon point de vue) un bizutage jugé par certains humiliant... En résumé, le sumō est ce à quoi tout Japonais pourrait sans hésitation se référer pour illustrer ou expliquer les valeurs qui font l'honneur de son pays et de sa mentalité.

Mais, à mes yeux, il semble que le sumō d'aujourd'hui soit surtout devenu l'illustration même des maux qui assaillent le Japon de nos jours. A l'origine de ce point de vue, et pour mieux le comprendre peut-être, un article paru en octobre 2008 dans le quotidien Libération et signé par son correspondant de l'époque Michel TEMM
AN, que je reproduis ici dans son intégralité:

"Depuis quinze siècles que le sumo a été introduit au Japon, jamais ce sport ancestral ne s’est si mal porté. Une série de scandales a ébranlé le petit monde clos et opaque des «écuries» (sumo-beya), où des maîtres forment leurs disciples à cette dure école d’ascétisme et d’humilité. Matchs truqués, lutteurs dopés, blessures simulées, apprentis tabassés, c’est l’heure du grand déballage. Et voilà les sumotoris déboulonnés de leur piédestal de demi-dieux.

«Le sumo est plus qu’un sport, explique Toshiharu Kyosu, un ancien lutteur devenu commentateur. Certains considèrent les tournois comme une cérémonie religieuse shintô. D’autres, comme un art dramatique, voire un art martial. Son origine s’identifie à la naissance du pays. Le sumo est lié au bushido, le code d’honneur des samouraïs. Les lutteurs sont les représentants sur terre de forces fantastiques.» Un sumotori, en théorie, ne parle pas et ne se plaint jamais. La simplicité, la douceur et la rigueur morale sont les vertus cardinales prêtées à ces géants de chair et de graisse. C’est du moins ce que le public a longtemps cru…

Linge sale et cannabis

Il y a trois semaines, Soslan Gagloev, un lutteur russe de 20 ans, connu sous le nom de Wakanoho, mettait brutalement les pieds dans le plat en dénonçant le «milieu pourri» du sumo nippon. Lors d’une conférence de presse d’à peine dix minutes, le jeune homme s’est dit prêt à «raconter toutes les saletés» dont il a été témoin, durant sa brève carrière. D’autant plus brève que, l’été dernier, l’association japonaise de sumo l’a «exclu à vie» du circuit, pour possession de cannabis. Persuadé d’être un bouc émissaire, Gagloev lave son linge sale en public, ayant perdu à peu près tout espoir de réintégration. Il a ainsi promis des révélations sur le dopage des lutteurs et le bidonnage des matchs  : «J’ai été obligé de livrer des combats truqués contre de l’argent dès que je suis entré en première division», a affirmé le malheureux Gagloev.

Truqué le sumo ? C’est le soupçon qui vaut à l’hebdomadaire Shukan Gendai d’être traîné en justice par les plus grands sumotori du pays. Le magazine à scandales a publié, l’an dernier, une enquête démolissant l’actuel numéro 1 de la discipline, Asashoryu. De son vrai nom Dolgorsuren Dagvadorj, ce Mongol de 28 ans, 145 kilos pour 1,85 mètre, aurait «acheté onze desquinze combats» du grand tournoi qui lui a permis de remporter son dix-neuvième trophée. Chacune de ces victoires prétendument arrangées aurait été monnayée 800 000 yens (5 500 euros), selon le Shukan Gendai. Venu, début octobre, à la barre, le belliqueux Mongol Asashoryu a nié avoir arrangé des combats. Il est maintenant soutenu par trente-deux lutteurs, qui, avec leur armée d’avocats, réclament des dommages et intérêts de 860 millions de yens (5,9 millions d’euros).

Devant le tribunal, le magazine a en revanche été conforté par le témoignage d’une ancienne vedette du sumo : «Quand j’étais lutteur, 75 à 80 % des combats étaient arrangés et j’ai moi-même participé à de telles pratiques», a déclaré Itai, qui tenait le haut de l’affiche dans les années 80. Au fil de ce procès, le scandale ne fait donc que grandir. Et la fin tragique, en juin, d’un apprenti lutteur japonais de 17 ans, battu à mort dans une écurie, a choqué tout le pays. Le maître de l’écurie - dont le salaire mensuel (9 000 euros) a été réduit d’un tiers pendant trois mois - ainsi que trois lutteurs sont en cours de jugement pour meurtre.

Il y a encore quinze ans, le Japon baignait dans l’âge d’or du sumo. Pour la plupart des habitants de l’archipel, le nom de Takanohana, plus jeune lutteur entré en compétition, à 17 ans, vingt-deux fois vainqueur de la Coupe de l’empereur, fils de l’ex-champion Futagoyama, reste associé à cette époque d’euphorie. Takanohana charmait les foules par le contraste entre son style agressif et son visage poupin. Les hauts et les bas de la vie sentimentale de ce demi-dieu à marier faisaient même monter ou baisser la Bourse de Tokyo.

Ruisseaux de sueur

En 1994, sacré yokozuna (grade suprême du classement) à 21 ans, son 1,85 m supportait 160 kilos. Aujourd’hui, à 35 ans, Takanohana a fondu. Depuis qu’il s’est retiré de la compétition et dirige sa propre écurie, il est tombé à 90 kilos : «J’entretiens ma forme. Je mange moins. Je profite un peu plus de la vie.» Quand paraît le maître, les lutteurs osent à peine le regarder. Takanohana s’assied, observe l’entraînement, ne dit rien jusqu’au salut de fin.

Avec la force de titans, les énormes ventres claquent l’un contre l’autre. Les chignons virevoltent. Depuis l’aube, les sumotori, levés à 5 heures, s’entraînent dur. A jeun. Des ruisseaux de sueur coulent entre leurs omoplates. Etirements, grands écarts, exercices d’endurance, combats… Jusqu’au premier repas de la journée, à 9 heures, le moment du chanko-nabe, un copieux pot-au-feu de viande ou de poisson mijoté avec des légumes. Après la sieste, l’entraînement reprend, d’une intensité inouïe. Chacun souffre en silence. Sans un mot. Sept heures par jour. Le prix à payer pour pouvoir encaisser les chocs sans se rompre les cervicales. Et devenir des champions couverts d’or. «Les lutteurs d’aujourd’hui ne s’entraînent plus assez.» La pique est de l’oncle même de Takanohana, l’ex-grand champion Wakanohana.

A l’évidence plutôt que d’en baver dans les écuries, les ados nippons d’aujourd’hui préfèrent, de loin, s’éclater sur leurs consoles de jeux vidéo. Ce n’est donc pas un hasard si les deux derniers sumotori sacrés yokozuna se trouvent être des étrangers. Le sumo d’élite n’est plus le sport 100 % japonais de jadis. Les Hawaïens, à la forte corpulence, sont admis dans le dohyo (arène) depuis plus d’un siècle. L’ex-basketteur hawaïen Chad Rowan, Akebono de son nom de lutteur, 2,04 m, 225 kilos, était devenu le premier étranger à accéder au pinacle de la hiérarchie, lorsqu’il fut sacré yokozuna en 1993. Akebono avait su assimiler la culture humaine, religieuse et spirituelle du sumo, élevé au rang de kokugi (art national).

Mais la récente accélération de cette ouverture (avec la percée de Coréens, de Mongols et d’Européens de l’ex-bloc soviétique) déplaît à ceux pour qui le sumo doit rester cet «art national.» En 2004, certains, à Tokyo, avaient comparé la consécration de Asashoryu, arrivé d’Oulan-Bator en 1997, à «l’invasion des Mongols au XIIIe siècle.» Et tant pis s’ils oublient au passage que le sumo, avant d’arriver au Japon, était déjà pratiqué en Corée, en Chine et en Mongolie. A Tokyo, un parlementaire a carrément proposé d’interdire le sumo aux étrangers. «Le dernier incident [avec le lutteur russe Gagloev, ndlr] nous rappelle qu’il est difficile, pour ceux qui ne possèdent pas l’esprit japonais, d’être les porteurs de notre culture», soutient Kenshiro Matsunami, ancien lutteur et ex-vice ministre des Sports.

Sévère punition

Les trois sumotoris châtiés l’été dernier pour consommation de cannabis sont tous trois russes. Pour quelques volutes de marijuana, voici les 34 lutteurs étrangers licenciés au Japon (sur un total d’environ 700 lutteurs dans 53 écuries) dans la ligne de mire des puristes. Meilleur lutteur de longue date, impétueux et irascible, le Mongol Asashoryu, au centre de l’actuel procès en diffamation, n’en est pas à son premier accroc. Au cours de l’été 2007, il avait été sévèrement puni par l’association du sumo (salaire baissé d’un tiers, exclusion de tournois), pour avoir simulé une blessure aux ligaments. Il avait fait faux bond à une tournée caritative dans l’archipel, prétextant des douleurs au genou, mais fut filmé, deux jours plus tard, en Mongolie, sur un terrain de football, participant à un match de gala !

«Si un yokozuna se retrouve pris dans une affaire trouble, les dégâts sont énormes», juge Eriko Suzuki, originaire des quartiers populaires de Tokyo. Pour cette fan qui a grandi à deux pas de Ryogoku, le quartier des écuries et restaurants de chanko-nabe et du Ryogoku Kokugikan (le stade de sumo de Tokyo) : «Les meilleurs doivent montrer l’exemple car ils influencent les lutteurs plus jeunes. Aujourd’hui, les Japonais en ont assez des scandales. Ils attendent avec impatience le retour d’un grand champion à la force tranquille.» Japonais de préférence… Malgré ses exploits, Asashoryu n’a jamais réussi à se faire aimer du public : on lui reproche son manque de modestie et de raffinement. Tout juste nommé, le nouveau président de l’Association du sumo japonais, l’ex-champion Musashigawa, a promis de remettre de l’ordre et de «combattre tous les maux du sumo». Son premier projet en dit long : soumettre les lutteurs étrangers à un programme spécial d’éducation d’un an. Pour être dignes de devenir yokozuna."

Chacun pourra tirer les conclusions et les enseignements qu'il souhaite de cet article. Personnellement, je voudrais surtout retenir, à travers la description du tout petit monde actuel du sumō et l'étalage des scandales qui l'agitent, un certain nombre de considérations générales qui, à mon avis, sont assez représentatives du visage qu'offre le Japon contemporain dans son ensemble. A savoir, en vrac et dans le désordre, ses aspects exemplaires comme ses cotés plus sombres:
- un pays où cohabitent, parfois pour le plus grand des bonheurs, mais parfois avec difficulté, les nobles valeurs ancestrales et le pragmatisme, notamment économique, qu'impose (?) l'époque moderne. L'argent est plus que jamais le nerf de la guerre, il autorise la survivance des traditions les plus typiques, permet les plus grandes réalisations et aide à concrétiser les rêves les plus beaux, mais parfois il dicte sa loi et engendre bien des dérives, telles que pots-de-vin, combats truqués etc...
- un pays où le pouvoir politique, à l'image des instances dirigeantes du sumō, affirme souvent une autorité plutôt positive et bénéfique, mais peine parfois à se dégager et s'affranchir des grands intérêts économiques (intérêts souvent personnels d'une infime minorité...) parce que ce sont précisément ces derniers qui lui apportent ses moyens d'existence, lui interdisant parfois de mettre en oeuvre et de faire (au profit de la grande majorité de la population) ce qu'il a promis de faire (avec plus ou moins de sincérité...) et ce pourquoi il a été élu
- un pays qui ne parvient pas à rassurer sa jeunesse, si inquiète pour son avenir et jugée (à tort ou à raison?) trop habituée au confort matériel moderne, ainsi qu'à la convaincre qu'elle trouvera sa voie dans les valeurs qui ont fait celle de leurs ainés, l'effort, le travail, l'abnégation, l'humilité... (des ainés, je le précise au passage, qui ont tant souffert des conséquences de la guerre qu'ils ont tout fait afin que les générations suivantes puissent enfin goûter au meilleur du confort matériel...)
- un pays capable, quoi qu'on en pensent certains esprits à mon avis bien superficiels, de s'ouvrir avec intelligence à l'étranger, d'aller y rechercher certes ce dont il a besoin pour lui-même, mais aussi de réaliser à cette occasion, au-delà d'une simple immigration, une réelle intégration de quantité d'étrangers qui ne regrettent vraiment pas d'y être venus et de s'être imprégnés de la culture et de la mentalité locales dans ce qu'elles ont de meilleur
- et dans le même temps, un pays qui peine à gérer une immigration qu'il juge parfois porteuse de travers ou de vices réputés "non-japonais", une immigration qu'il tente de désigner comme "coupable" des maux qui l'assaillent, donnant de plus au passage du grain à moudre aux extrêmismes nationalistes ou à ceux qui prétendent que les Japonais seraient racistes. Une immigration qu'il accuse parfois avec raison, mais trop souvent à tort, celle-ci ne faisant en fait que révéler une culpabilité à l'origine bien nippone. Mais c'est tellement plus simple d'accuser l'autre (et surtout l'étranger) au lieu de reconnaître ses propres insuffisances...
- un pays largement démocratique, où la presse a souvent l'occasion et les moyens d'exercer un véritable contre-pouvoir en divulgant les errances des nantis (même s'il est vrai aussi qu'elle se nourrit parfois de scandales qui sont largement exagérés pour de simples raisons commerciales...)

Un pays, au bout du compte (même si cette énumération pourrait être bien plus longue) encore mal connu mais fascinant et qui reste très attractif. Et, en définitive, source de nombreux enseignements (ceci n'engage que moi...). 

Et un pays qui, à bien y penser et par bien des aspects, m'en rappelle finalement un autre qui nous est bien plus proche...
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21 avril 2009

L'inédite influence du Japon sur la France

J'ai le sentiment que pour la France, le Japon a surtout constitué une histoire de mode. Qui vient et qui va. Et qui revient. Comme toute mode.
Cela a sans doute commencé avec ce que l'Histoire retient sous le nom de japonisme. Cette période, dans le dernier tiers du 19ème siècle, durant laquelle quelques intellectuels, quelques critiques d'art et surtout quelques peintres et pas des moindres, puisqu'il s'agit des impressionnistes parmi les plus réputés comme Monet ou Van Gogh, ont reconnu dans l'art japonais en général et dans les estampes en particulier l'expression d'une culture extraordinaire et fascinante. Van Gogh aurait écrit à son frère Théo: "Ah! si je savais peindre comme les Japonais...". Encouragé par des Goncourt ou autre Zola, le public français, et surtout parisien, découvrait les pavillons japonais des Expositions Universelles et commençait à décorer les appartements bourgeois de la capitale d'éventails, paravents et autres bibelots nippons. Je me rappelle avoir également lu dans un ouvrage consacré à cette époque qu'à la fin du 19ème siècle, Paris a compté plus de cent salons de thé japonais...!

Si l'influence japonaise a subsisté jusqu'au début du 20ème siècle dans le monde artistique, comme en témoignent notamment les oeuvres de Toulouse-Lautrec ou le style Art Nouveau, il semble que le Japon ne fut qu'une mode dans l'esprit du grand public qui progressivement s'en détacha. Et quelques secteurs d'activités bien précis mis à part, on ne reparla plus guère du Japon jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale, où le Pays du Soleil Levant se fit remarqué surtout par son alliance à l'Italie fasciste et à l'Allemagne nazie ainsi que par des actes belliqueux peu glorieux, de l'invasion colonialiste de la Mandchourie à la bataille de Pearl Harbour, pour enfin clore cette (sombre) page de son Histoire par le désastre d'Hiroshima et de Nagasaki.

Mais à peine vingt-cinq ans plus tard, fin des années 60, la France apprenait, stupéfaite, que ce petit pays du bout du monde, écrasé et détruit en 1945, s'était, en une seule génération, hissé au troisième rang des puissances économiques mondiales, derrière les Etats-Unis et l'URSS. Grâce au livre "Japon troisième grand" du journaliste Robert Guillain, les Français redécouvraient un pays fascinant par son dynamisme, sa capacité à rebondir, sa "sagesse extrême-orientale" et sa culture si différente, mais aussi inquiétant par son expansionnisme économique. Et dans le même temps qu'il obtenait une reconnaissance mondiale grâce notamment aux Jeux Olympiques en 1964 ou à l'Exposition Universelle d'Osaka en 1970, le Japon réactiva à ses dépens une expression ancienne, le "Péril Jaune". Le marché français qui, comme tous les autres marchés du monde, s'était sans guère broncher laissé pénétrer par les produits japonais, s'aperçut soudain que ceux-ci avaient totalement occulté la production nationale et que des industries telles que celles des montres, des appareils photos ou encore des motos ne pouvaient plus rivaliser avec cette invasion d'un nouveau genre. Les solex et autres Motobécane furent étouffés par les 4 grands nippons, Honda, Suzuki, "Yam" et "Kawa". Plus tard, des actes de résistance furent bien tentés mais combien maladroitement, comme ces malheureux (et grotesques) épisodes des magnétoscopes japonais arrêtés à Poitier ou cette Premier Ministre française tentant de déconsidérer les Japonais en les qualifiant de "fourmis"...

Mais malgré ces actes plutôt ridicules et ratés, le Japon revenait lentement "à la mode". De plus en plus de Français découvraient le Judo et autres arts martiaux, le talent d'un Issey Miyake ou le goût de la sauce de soja. Ils se passionnaient pour Kawabata ou Mishima et s'émerveillaient devant les films de Kurosawa. Par manque de places offertes, apprendre le japonais aux "Langues O" devenait de plus en plus difficile pour les grands, tandis que les petits de retour de l'école se précipitaient sur leurs petits écrans pour y suivre les exploits de Goldorak. Mais là encore, les parents, quelque peu sceptiques ou même parfois un peu inquiets en qualifiant les dessins animés japonais de violents,se rassuraient tant bien que mal en se disant: "Bah, ce n'est qu'une mode, qui donc passera au bout de quelques années". Je pense qu'ils n'avaient pas tort: l'intérêt porté pour le Japon de ce temps-là était bel et bien une mode. Sauf que celle-ci a finalement duré, et qu'elle s'est transformée en une réelle influence profonde. Et je crois que, pour la première fois dans l'histoire croisée de ces deux pays qui ont commémoré en 2008 le "150ème anniversaire des relations franco-japonaises", l'Empire du Soleil Levant n'est plus chez nous qu'une "mode". Il fait dorénavant partie intégrante d'une part non négligeable de la culture, de la mentalité et de la vie au quotidien de la France et des Français.

L'exemple le plus représentatif de ce bouleversement en profondeur est je crois celui que nous offre la librairie Tonkam. Ce petit éditeur installé dans le quartier de la Bastille à Paris a eu le nez creux. Ses responsables (que je me rappelle, du temps où je travaillais pour la TV japonaise, avoir interviewés un peu comme des illuminés...) étaient fascinés par la BD version japonaise, et avaient décidé, bien plus par passion que par intérêt économique, d'importer quelques manga et de les traduire... Presque 30 ans plus tard, la France est devenu le 2ème marché mondial des manga après le Japon! Tous les grands éditeurs français s'y sont mis, la taille des rayons des Fnac consacrés à ces ouvrages est devenue carrément impressionnante, les Salons sur le Japon ayant pour cible la jeunesse française en font leur produit d'appel et même parfois leur nom, comme "Mang'Azur" à Toulon. Aujourd'hui, le manga n'est définitivement plus un effet de mode, il fait partie intégrante de la littérature et de la culture françaises.

Le manga est d'ailleurs loin d'être la seule littérature japonaise présente en France, et nombreux sont les fans qui découvrent et s'imprègnent des idées d'auteurs comme Tanizaki, Ôe Kenzaburo ou autres Murakami. Le Haïku est appris et souvent imité en français. Le cinéma japonais, lui aussi objet d'une certaine mode il y a quelques années avec Kurosawa ou Ozu, devient incontournable et presque familier avec des réalisateurs tels que Miyazaki et ses dessins animés extrêmement appréciés ici ou Kitano et ses films souvent noirs.

Alors qu'il n'y a encore que quelques années, on pouvait parler de simple "présence" japonaise en France, force est de reconnaître qu'aujourd'hui, l'influence du Japon sur la France est incontestable dans une multitude de domaines. En voici quelques exemples parmi d'autres. L'alimentation de beaucoup de Français, et pas que de quelques "bobos" parisiens comme c'était le cas il y a encore quelques années, a bien intégré les sushi ou les brochettes de poulet façon yakitori, qu'ils dégustent non seulement dans des restaurants spécialisés (rares sont pourtant ceux tenus par de vrais japonais...) mais aussi en les achetant dans les grandes surfaces: toutes les grandes enseignes en proposent désormais. Manger japonais a été une mode, c'est aujourd'hui devenu une habitude pour beaucoup de nos compatriotes. Et de son coté, si elle demeure bien française, la haute gastronomie de notre pays fait aujourd'hui souvent appel à des ingrédients nouveaux, des modes de cuisson bien différents du passé ainsi qu'une façon de présenter les plats dont l'origine se trouve bel et bien dans la cuisine japonaise. Influence qu'elle n'hésite même plus à cacher, en affichant de plus en plus souvent sur ses menus des beignets "façon tempura" ou des sauces "teriyaki".

Les équipements japonais ne se comptent plus dans notre vie quotidienne, et l'exotisme d'antan lié à leur utilisation a pratiquement disparu. C'est en France que Toyota fabrique sa Yaris, et nombreux sont ceux qui considèrent de niveau de qualité égal les Mercèdes, les BMW et les Lexus, tout en ignorant que cette dernière est une marque japonaise appartenant à Toyota. Et que dire, dans un tout autre genre, des arts martiaux d'origine japonaise, tels que le judo, que les enfants et les ados ne pratiquent guère plus comme sports étrangers mais presque comme s'ils étaient de chez nous. Enfants et ados (voire même plus grands...) qui, sur leur mp3, écoutent en boucle des chansons issues de la "J-Music" (pour Japan Music). Les fan-sites et blogs consacrés aux artistes japonais sont légions et extrêmement bien renseignés. En mai 2008, un groupe japonais, l'Arc en ciel, a rempli le Zénith de Paris tandis que quelques mois plus tard, Miyavi s'offrait l'Olympia... Et si l'on considère qu'une manifestation comme la Japan Expo, qui proposera en 2009 sa 10ème édition, est capable d'attirer plus de 130.000 visiteurs (payants) en 4 jours, on ne peut que se dire que ce qui est ou vient du Japon n'est vraiment plus que le simple effet d'une mode passagère.   

Mais ce qu'il y a de plus étonnant, ou de plus remarquable, c'est que cette influence japonaise est de nos jours présente et perceptible jusque dans des contextes d'où le Japon est totalement absent. Prenons la langue française. Celle-ci a complètement assimilé des mots d'origine japonaise, que nous utilisons sans même penser à leur signification première. Ainsi le mot zen n'a plus rien de religieux, il est aujourd'hui le simple synonyme de calme, tranquille ou sage. Mais ce qui m'a personnellement le plus étonné est la décision d'Orange de rebaptiser tous ses forfaits de téléphones portables du nom d'Origami. Sans être dans les secrets des responsables du marketing ou de la communication de cette entreprise, j'imagine que ce mot a aussi été choisi pour son exotisme censé sans doute attirer l'attention des consommateurs. Mais la réalité est là: un opérateur de téléphonie mobile français, qui souhaite toucher une cible française, est dans la capacité de proposer des produits ou des services auxquels il peut donner un nom japonais. Tellement ce nom est sans doute connu et familier des Français, aujourd'hui aptes à le mémoriser facilement.

Le Japon n'est vraiment plus une mode... Et cela n'est peut-être pas plus mal. Car sans tomber dans l'excès du "au Japon, tout il est beau, tout il est parfait", il me semble qu'il y reste quelques bons cotés dont la France pourrait tirer un inégalable profit: la propreté des lieux publics, les commerces ouverts le dimanche, la sécurité qui règne dans les villes, le respect de la propriété commune, les grèves qui ne bloquent pas tout...
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7 décembre 2008

"Assari"

Assari.
Un mot bien difficile à trouver l'équivalent en français. Dans la phrase "il a répondu assari au questionnaire qui lui était soumis", ce mot pourra être traduit par "facilement". "Il a refusé assari ma demande": dans ce cas, c'est plutôt le mot "sèchement" qui convient.

Mais le mot assari a une toute autre utilisation dans la bouche des Japonais. Particulièrement ardu à traduire par un seul mot en français, et pourtant très intéressant à mon avis, parce qu'il exprime un aspect très caractéristique de la mentalité japonaise. Lorsque vous demandez à un Japonais pourquoi il apprécie particulièrement un plat, vous l'entendrez souvent vous répondre: "Parce qu'il est assari". Lorsqu'il qualifie un goût, je serais tenté de traduire ce mot par léger, simple voire sobre ou encore dépouillé. Car effectivement, les Japonais aiment, pour la plupart d'entre eux, les goûts simples et légers. A l'inverse, ils n'apprécient que peu les plats que l'on pourrait qualifier de lourds comme les goûts trop complexes. Je dirais même persistants ou collants à la bouche. Je pourrais cependant ajouter, pour être plus précis et tenter de mieux faire comprendre la nuance de ce mot que, bien sûr, un plat qui est assari peut nécessiter une longue préparation ainsi que l'utilisation de multiples ingrédients dont chaque saveur viendra chatouiller les papilles. Mais le résultat global doit être simple, léger. En fin de compte assez dépouillé. C'est notamment pour cette raison sans doute que l'huile, même si elle est souvent utilisée en cuisine, ne se ressent pas une fois le plat présenté à son consommateur. Ce qui est gras est en effet souvent considéré comme lourd, persistant, dérangeant. C'est cette exigence de légèreté qui fait de la friture japonaise l'une des meilleures de monde de tempuramon point de vue. Le raffinement des tempura, tonkatsu et autres agemono (friture) vient de ce que l'on ne ressent absolument pas le mode de cuisson. Le goût de l'huile viendrait "polluer" le goût naturel de la crevette, la viande, le poisson ou le légume qui est frit. Et, même si cela peut paraître paradoxal, la graisse en soi peut être assari si elle est bien préparée... toroC'est ainsi que les Japonais préfèrent souvent les parties grasses des poissons ou des viandes aux parties dites maigres. A l'inverse de ce que pensent beaucoup de Français, les Japonais sont particulièrement friands des parties grasses et rose pâle du thon préparé cru en sashimi (chū-toro ou ō-toro), bien plus que des parties maigres et bien rouges qu'on appelle akami ou plus génériquement maguro. L'erreur provient de ce que la race du thon est le thon dit rouge et non pas blanc: les Japonais aiment donc les parties blanches du thon rouge... De la même façon qu'au filet de boeuf tout rouge, ils préfèrent une viande persillée comme en offre le Wagyū, le boeuf dit de Matsuzaka (ou de Kōbe) ou même assez grasse qu'ils utilisent notamment dans le sukiyaki ou le shabu-shabu.   

Et à bien y réfléchir, on s'aperçoit que ce mot assari, s'il n'est en japonais utilisé qu'en matière culinaire pour ikebana1exprimer un goût, il pourrait fort bien qualifier l'état d'esprit qui prédomine dans bien des domaines culturels nippons. Prenez par exemple l'ikebana ou art floral. Le choix du vase, la disposition des fleurs ou autres plantes, la façon de les manipuler pour parvenir au résultat final souhaité répondent à des règles bien précises et nécessitent une technicité souvent complexe. Pourtant, malgré cette technique, et même s'il est souvent généreux en couleurs, l'ikebana se caractérise le plus souvent par une réalisation "simple", sobre et dépouillée. Peut-être serait-il judicieux d'y ajouter le mot d'épuré.

Egalement facilement perceptible est ce goût pour la sobriété et le coté très épuré qu'on peut remarquer dans l'architecture traditionnelle. templeBien sûr, il existe des exceptions, selon les régions, selon les périodes, selon les objectifs ou selon les coûtumes de l'époque. Mais si l'on examine de façon globale les temples japonais et qu'on les compare à ceux de pays comme la Chine, l'Inde ou la Thaïlande, on ne peut que constater la grande sobriété des lieux de culte de l'archipel nippon. Même si l'architecture est techniquement complexe, soignée et raffinée, le résultat final est le plus souvent d'apparence simple, et surtout très peu "chargé" en décorations exhubérantes ou criardes. Il y règne une ambiance de sérénité, de dépouillement. Même un matériau d'ornement comme l'or, lorsqu'il est utilisé, n'est jamais choquant ou agressif à l'oeil.

Prenez également l'intérieur des maisons. Les appartements japonais contemporains sont souvent petits, et l'abondance de produits issus de la société de consommation actuelle les transforme souvent en espèces de ryokan_1cavernes d'Ali-Baba de l'électrique et de l'électronique plus ou moins bien rangées. Les meubles et les bibelots de toutes sortes empêchent souvent les grands mouvements. Mais si vous contemplez les maisons traditionnelles, telles que vous pouvez les imaginer en regardant des films dits d'époque ou en vous rendant dans les auberges japonaises qu'on appelle ryokan, vous pourrez aisément constater le quasi dépouillement des intérieurs qui apparaissent presque vides et peut-être abandonnés plutôt que meublés et véritablement occupés par des habitants.

Dans la gastronomie, l'architecture, la décoration intérieure, l'art floral, mais aussi la llittérature et les haiku par exemple, forme poétique tellement complexe par ce qu'elle inspire mais tellement simple dans sa construction: que cela concerne l'art ou tout ce qui constitue la culture de leur pays, les Japonais sont souvent amateurs de choses simples, sobres et épurées. Même s'il est aussi vrai que ce pays est celui de la contradiction et que de nos jours, il n'est pas rare de tomber sur des immeubles parfaitement hideux et du plus douteux des goûts comme le sont par exemple la plupart des "love hotels", ou d'entrer dans des établissements, restaurants, boutiques ou autres salles de jeux, qui sont tout sauf dépouillés et zen...
Mais je crois qu'on pourrait conclure ce petit article par une extension professionnelle qui ne serait peut-être pas autant exagérée qu'il y paraît de prime abord. Parce que c'est un trait caractéristique de leur mentalité, je crois qu'il n'est pas erroné de considérer que, dans les affaires aussi, et aussi complexes que soient ces dernières, les Japonais ne sont jamais autant séduits que lorsqu'on les sollicite avec un projet qui est présenté ou conçu sur des bases claires, simples et épurées... Mais ceci fait plutôt l'objet de certaines de mes formations, je ne saurais ici ennuyer le lecteur avec des histoires de travail ou de projets professionnels...!




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9 novembre 2008

L'endroit et l'envers...

Un très court article sur un aspect caché et donc souvent ignoré de la mentalité nipponne.

En japonais, Omote to Ura...


Omote, c'est l'endroit. Le recto, le coté pile, le visible. Mais c'est aussi un des nombreux mots qui dans cette langue désignent le visage. Dans une célèbre série télévisée de samourai, il était un juge qui invitait les accusés, prosternés devant lui à l'ouverture du procès, à se relever en disant: "Omote o age!" ou "Relevez vos visages!"...
Ura, c'est l'envers. Le verso, le coté face, et non pas l'invisible, mais le caché. Ce qui ne saute pas aux yeux immédiatement, qui reste caché, pour peu qu'on ne fasse l'effort de le découvrir. Et bien entendu, le lecteur aura d'emblée compris qu'au Japon, ce qui compte est le Ura, bien plus que l'Omote...

Une expression qui pourra surprendre: il existe un "Japon de l'endroit" et un "Japon de l'envers". Toute la partie Est du pays, bordée par l'océan Pacifique, est ainsi appelée Omote Nihon, tandis que la côte Ouest, sur la Mer du Japon, est souvent qualifiée de Ura Nihon. lampe_jardin_japonais_kenrokuen_kanazawa_garden_43_xmEt si les principales villes du Japon sont plutôt du coté Pacifique, si la très célèbre voie Tōkaidō qui a insipiré la série d'estampes de vues du même nom se trouve à l'est du pays, les Japonais considèrent souvent que la "vérité japonaise" est plutôt à découvrir coté ouest... Comme par exemple, cette photo du très célèbre jardin Kenrokuen dans la ville de Kanazawa.

Tout simplement parce que, bien plus que ce qui est d'emblée visible, ce qui est important est ce qui demeure caché. Ce qui ne se dévoile pas immédiatement, et qui requiert attention et volonté pour se laisser appréhender. Ce qui est montré est en même temps superficiel et donc sans réel intérêt, ce qui est caché est bien plus profond. Et si le visage d'un Japonais est son omote, ce qu'il y a de visible et donc de superficiel, l'explication est à trouver dans l'expression Tatemae et Hon-ne. Tatemae, c'est ce que l'on affiche ouvertement, ce que l'on dit. Avec pour critère principal la volonté de ne jamais provoquer l'affrontement, le chaos, la controverse, l'opposition. D'où cette impression que les Japonais ne disent jamais "non". Le hon-ne, c'est à l'inverse ce que l'on pense tout au fond de soi. Et donc qui reste non dit. Mais pas forcément non exprimé. C'est tout l'art de la communication auquel nous touchons ici: en japonais, ou avec un Japonais, il y a ce qui est dit, souvent superficiel et consensuel. Mais si l'on veut véritablement comprendre la signification profonde des mots qui ont été échangés, il faut savoir y déceler la vérité qui se cache sous le non-dit. "Nanika ura ga arisô desune" : j'ai bien l'impression qu'il y a quelque chose qui se cache sous ce qui a été dit... En français, on dirait "lire entre les lignes", "comprendre à demi-mot"... Comme quoi tout ceci n'est en rien une exclusivité japonaise. Mais c'est indubitablement une vraie particularité nippone.

Deux ou trois exemples parmi les dizaines que l'on pourrait trouver de cette grande importance que les Japonais accordent à ce qui n'est pas visible au premier coup d'oeil. Dans la gastronomie, on apprécie énormément ce qu'on appelle le kakushi-aji ou "saveur cachée". Une touche imperceptible d'un produit qui va réhausser l'ensemble de la préparation. Quand on se ballade dans une grande ville japonaise, il y a la omote-d
ōri, la grande avenue où les grandes enseignes se montrent, et il y a les ura-dōri, les petites ruelles de derrière, où se cachent souvent les meilleurs petits établissements... Enfin, un exemple issu d'un aspect très représentatif de la culture japonaise: l'art de la céramique. IMGP6997Tout le monde en France, ou presque, a entendu parler de la "cérémonie du thé" comme rite traditionnel japonais. J'y reviendrai plus en détail dans un prochain article. Mais que le lecteur sache juste que cette cérémonie a permis de développer tout un art de la céramique autour du bol utilisé pendant ce rituel. Le bol de thé en est véritablement l'accessoire central, et à ce titre, il mérite d'être observé en détail et apprécié. Tous les céramistes de renom au Japon ont donc conçu - ou tenté de concevoir - le bol de thé idéal ou parfait. Or si l'on a l'habitude de contempler les parties externes d'un bol ou même ses parois internes ou son fond, et parfois de s'en extasier, tout ceci n'en reste pas moins la partie visible et donc superficielle de la céramique. L'essentiel du bol pour un connaisseur japonais se trouve à l'envers. IMGP6996Après avoir dégusté le thé vert, tiède et mousseux, il convient de retourner son bol et d'en contempler le pied. C'est lui qui révèle la vraie personnalité de son auteur. D'autre part, s'il a couvert son oeuvre d'un émail qui lui donne son aspect extérieur souvent incomparable de beauté, le maître céramiste aura pris soin de ne pas recouvrir l'intégralité du bol et aura laissé, tout autour de ce pied, une partie non émaillée qui laisse ainsi apercevoir le type de la terre qui a été utilisée pour la confection du bol.
A l'endroit, le bol d'une cérémonie du thé révèle sa beauté.
A l'envers, il révèle son âme....




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29 octobre 2008

A l'attention des professionnels...

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Témoignages:

M. A..., Directeur Export, Société L... (Bouches-du-Rhone):
"Notre société a une filiale au Japon. En tant que responsable de cette filiale, j'y passe une semaine par mois à Tōkyō depuis 1 an et demi. Je n'ai aucun problème avec l'ensemble de ses employés, sauf avec son Président. Vraisemblablement parce qu'il est le "Président" d'une société (mais d'une filiale) et que je ne suis que le "Directeur" d'un département (mais de la société-mère). Il a du mal a accepter les ordres ou les critiques d'un collègue d'un statut réputé inférieur... Comment puis-je résoudre ce problème, compte tenu des spécificités de la mentalité japonaise?"


M. R..., Maire de G... (Héraut):
"J'ai soutenu la création d'un festival en relation avec le Japon sur ma commune, laquelle par ailleurs accueille sur son sol une entreprise japonaise de grande taille. Lors de l'inauguration de cette société il y a plusieurs mois, son Président japonais a semblé regretter le peu d'efforts que faisaient les Français pour s'intéresser à la mentalité ou à la culture de leurs nouveaux dirigeants. J'en ai profité pour lui parler de ce festival, alors en préparation et en recherche de sponsors: il a manifesté le plus grand intérêt et a promis le concours de sa société. Or, lorsque je l'ai sollicité pour un soutien financier, il a alors refusé, prétextant que l'objet de son entreprise était trop éloigné du thème du festival... alors que son but réel était bien de sensibiliser mes administrés à la culture japonaise, ce que précisément le Président japonais disait souhaiter.
D'où peut venir ce revirement soudain? Comment faudrait-il procéder pour bénéficier du concours de cette société pour les prochaines éditions de ce festival que je compte bien rééditer chaque année?"


M. Suzuki, Société T... (Ile-de-France):
" Vous me proposez des séances d'information sur la mentalité japonaise à destination des employés français de notre société japonaise installée en région parisienne, afin que ceux-ci comprennent mieux la façon de penser ou de travailler de leurs dirigeants japonais. Mais puis-je vous demander aussi d'organiser des séances identiques à l'intention des cadres japonais, nous avons parfois nous-même de grandes difficultés à comprendre la mentalité de nos collègues français?... Je suis persuadé que ceci permettrait d'optimiser la cohésion entre personnes d'origines et de cultures bien différentes et qui pourtant sont amenées à travailler ensemble..."


Mme B..., Société A... (Isère):
"Notre société est implantée au Japon depuis 100 ans. Nous souhaitons commémorer cet anniversaire. Pouvez-vous organiser un événement d'entreprise, convivial mais informatif et instructif, qui permettrait à nos employés de mieux connaitre ce pays qui représente un partenaire très important pour nous mais que la majorité d'entre eux n'a jamais pu visiter et au sujet duquel ils ignorent à peu près tout?"


M. C..., Société T... (Finistère):
"Je suis en relation avec le Japon qui représente un client exceptionnel pour notre société. J'ai pu bénéficier de nombreuses formations, de la part de la CCI de ma région jusqu'à des aides européennes. Cependant, celles-ci demeurent essentiellement techniques et directement en rapport avec mon activité professionnelle liée à l'exportation. Mais depuis deux ans que je fréquente ces partenaires japonais, je m'étonne encore souvent de leurs réactions, de leur façon d'appréhender le travail, etc... Je suis persuadé que ceci est dû à des différences culturelles ou de mentalité que je ne parviens ni à identifier ni à expliquer. Pourriez-vous m'aider à mieux les cerner et les comprendre, je suis persuadé que cela m'aiderait beaucoup dans mes relations avec mes homologues nippons?"



Si vous aussi avez le sentiment que quelque chose vous échappe dans la façon de penser ou de travailler des Japonais, si vous aussi êtes sensibles au fait que mieux comprendre les aspects fondamentaux de la mentalité et de la culture japonaise peut réellement optimiser vos relations professionnelles avec des partenaires nippons, n'hésitez pas à me contacter à:

                        claude.yoshizawa@hotmail.fr





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22 septembre 2008

L'individualisme à la japonaise

Ô lecteur, toi qui a eu la gentillesse de lire mes précédents articles, et qui a compris que ce que je préférais, quand je parle du Japon, c'est d'établir, dès que cela est possible, un comparatif avec la France et ainsi parler des différences et des similitudes de ces deux pays et de leurs cultures respectives et d'y apporter mon point de vue, tu voudras bien me pardonner: voici un article que je prends la liberté d'écrire pour d'abord me faire plaisir, car il traite d'un des thèmes qui me sont les plus chers...

Combien de fois ai-je entendu dans la bouche des Français l'affirmation suivante: le Français est individualiste, le Japonais n'existe que dans un collectif. A les écouter, les Japonais n'existeraient quasiment pas en tant qu'individus mais uniquement par rapport et grâce à un collectif donné. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire ici d'expliquer ou de justifier ce point de vue, il est suffisamment répandu pour que je puisse, sans plus attendre, dire combien je le considère comme totalement faux. Je m'empresse par contre de vous présenter ma façon de voir les choses, au risque d'en choquer quelques uns, mais peut-être aussi d'en intéresser certains...

Si je prends pour postulat de départ que l'individualisme est un mode de pensée et de fonctionnement d'une société qui place l'individu et la défense de ses intérêts au centre de ses préoccupations aux dépens de toute autre considération, alors j'ai toutes les raisons d'affirmer que la France et le Japon se rejoignent tout à fait dans cette définition. S'il y a une différence, c'est probablement dans la façon de la vivre. Mais sur le principe, je considère que si les Français peuvent être effectivement qualifiés d'individualistes, les Japonais le sont tout autant.

Je crois qu'en France, c'est là un point essentiel de la mentalité japonaise qui est sans doute le moins bien compris (même si bien sûr il existe des exceptions, je ne le répèterai jamais assez). Mais on a globalement ici l'image des touristes japonais voyageant en groupes, et on a dans la tête l'idée, cent fois martelée, qu'au Japon, l'individu est considéré comme une entité négligeable et que seul compte le collectif. Ceci est, de mon point de vue, tout à fait faux. Au Japon aussi, l'intérêt de l'individu prime sur celui du collectif. Par contre, si l'on a tendance à croire en France que l'intérêt de l'individu peut ou doit se réaliser même aux dépens du collectif, on considère généralement au Japon que l'intérêt individuel ne peut se réaliser que GRÂCE au collectif. C'est sans doute là que réside la différence majeure entre ces deux pays. Au Japon, on considère que la finalité de tout système politique, économique ou social est d'être au service de l'épanouissement de l'individu, mais que celui-ci ne peut y parvenir seul, et qu'il a besoin de s'inscrire dans un collectif pour l'atteindre. Il est conscient qu'il n'est pas seul, et que tous ses congénères ont les mêmes droits et les mêmes aspirations que lui. Et qu'il ne pourra jamais s'épanouir seul alors que les autres membres qui composent son collectif n'y parviendraient pas. Prenons l'exemple le plus significatif: beaucoup de Français croient et répètent à qui veut l'entendre que les salariés japonais sont, par conviction ou par obligation, "dévoués corps et âme à la société qui les emploie". Mis à part le caractère excessif et caricatural de la formule, elle n'en demeure pas moins assez exacte, mais pour une excellente raison qu'on oublie systématiquement de préciser et qui change tout, à savoir qu'au Japon, les sociétés redistribuent à leurs employés une partie très importante des profits qu'elles réalisent grâce à leurs efforts. Il existe au Japon un mode de rémunération qui, au salaire de base, ajoute ce qu'on appelle là-bas un "bonus". Et celui-ci ne correspond en rien à un treizième mois récurent et d'un montant fixe. Le "bonus", pratiquement jamais inférieur à un mois de salaire, est d'un montant variable qui dépend directement de l'importance des bénéfices de la société. Plus une société gagne de l'argent, plus le bonus est élevé. Il peut ainsi correspondre à deux mois ou trois mois de salaires, parfois même plus. Calculé et versé deux fois par an, il constitue ainsi un complément très important au salaire de base, puisqu'il représente au minimum deux mois de salaire, et cela peut monter à quatre, six ou même douze mois de salaire supplémentaire! Et même si au Japon aussi, les bénéfices des sociétés sont affectés à d'autres postes que le "bonus", comme la rémunération  des actionnaires ou encore les départements R & D (bien plus qu'en France...), il n'en reste pas moins que la redistribution des profits est une réalité bien plus tangible qu'en France. Ainsi, il ne faut pas s'arrêter à cette simple idée que les Japonais consacrent beaucoup de leur temps et de leur énergie à leur société: s'ils le font, c'est parce qu'il y a un retour...concret et palpable! Et l'épanouissement ou le succès ne s'arrête donc pas à celui de la société, mais va donc bien jusqu'à celui de l'individu. Celui-ci est donc bien la préoccupation centrale et finale de la conception sociale du Japon. Et si l'on m'oppose des exemples contraires qui illustrent le fait qu'un individu se sacrifie au profit du collectif parce qu'il pense que ce dernier est plus important que sa simple personne, je répondrai que le Japon accorde effectivement une importance particulière à l'intérêt général et considère qu'il prime souvent sur l'intérêt particulier. Mais il faut comprendre l'intérêt général des individus qui composent un collectif et non l'intérêt de ce collectif en tant que tel. L'éventuelle défense de l'intérêt d'un collectif ne vaut que si les individus qui le composent en récoltent les fruits. C'est pour cela que j'affirme que le Japonais est, au moins autant que le Français, un individualiste.

Et ceci peut se vérifier dans bien des systèmes de fonctionnement de la société japonaise. Prenons par exemple le système éducatif. On peut là encore être abusé par la présence d'uniformes qui évoquent l'effacement de l'individu au profit de l'image collective de l'école ou de l'Université. Mais en creusant un peu dans ce système, on s'aperçoit très vite que la démarche à suivre pour réussir ses études au Japon est éminemment individualiste. Tout d'abord, il y a beaucoup plus de concours que d'examens. Il n'est donc pas seulement question d'un "simple" test afin de juger d'un niveau de connaissances, mais bien d'une compétition entre individus. Et pour réussir un concours ou intégrer une université prestigieuse, l'élément (le plus souvent) le plus déterminant est... la fortune des parents! Laquelle fortune va pouvoir financer des études complémentaires aux études de bases, dans des écoles ou instituts privés (et souvent fort chers) qu'on appelle des Juku. Il est donc évident que ces juku, et donc les meilleures universités, ne sont pas accessibles à tous. Ainsi, même si au Japon, parce qu'on est tout de même dans un pays évolué et puissant, il existe aussi différents mode d'aides et de bourses scolaires pour ceux qui sont moins favorisés que d'autres, il n'en reste pas moins que les différences entre individus (notamment en terme de moyens financiers) sont souvent déterminantes, et on est très loin d'un mode de pensée collectiviste.

Prenons un tout autre exemple, celui des arts martiaux. En japonais, ils se terminent quasiment tous par le vocable "DÔ". Comme Jûdô, Kendô, Aikidô, etc... "Dô" signifie la voie, le chemin. La "voie de la souplesse", la "voie du sabre", etc... Et là encore, il convient de ne pas se laisser abuser par les apparences. Car si l'entraînement dans les arts martiaux se fait toujours de façon collective, la progression dans la "Voie" ou sur le "Chemin" vers la maîtrise de la discipline chosie demeure une démarche souvent intérieure, et toujours solitaire. La pensée de base qui fait le fondement de tous les arts martiaux est donc éminemment individualiste.

Individualiste, le Japonais n'en a donc pas moins une forte conscience du collectif qui l'entoure. C'est sans doute dans cette conscience (qui, elle, est vraiment collective...!) qu'il faut trouver une explication du respect (qui fait l'admiration de nombreux Français...) qu'ont les Japonais des biens publics (j'ai évoqué dans un précédent article intitulé "Le respect du bien public" l'étonnante propreté des W-C dans les trains...), mais aussi du faible taux de la criminalité et de la délinquance qui fait des grandes villes japonaises des exceptions mondiales en terme de sécurité, ...et de bien d'autres aspects de la mentalité ou des coutumes japonaises qui restent encore obscures pour beaucoup de Français.

Ainsi, on enseigne à nos hommes d'affaires qui se rendent au Japon qu'ils doivent à tout prix se munir de cartes de visite. Mais sans réellement leur expliquer le pourquoi et le comment. Alors que c'est de mon point de vue l'un des symbôles les plus caractéristiques de ce que je viens d'exprimer quant à l'individualisme à la japonaise. Au Japon, la carte de visite ou meishi est incontournable, chacun à la sienne. Mais regardez là avec attention. Vous y verrez en gros, et bien centré, non pas le nom de la société, mais bien le nom d'une personne. Ce qui est donc mis en avant est l'individu. Par contre, vous y trouverez généralement des explications très détaillées quant au positionnement de cette personne dans le collectif dans lequel il tient à ce que vous l'inscriviez (qui en général est celui de sa société, mais cela peut être un autre collectif, une association, un groupement sportif, etc...). Vous trouverez le nom de sa société, le département et le service auquel il appartient, l'intitulé de sa fonction précise, et toutes les coordonnées nécessaires pour le joindre. Et lorsqu'il la tend à son interlocuteur dès la première présentation, un Japonais aura pour habitude de dire "Je suis ...., de la société ....". Il se présente en tant qu'individu appartenant à un collectif. Les deux deviennent inséparables. Conséquence intéressante pour un Français: la carte de visite où n'est mentionné que le nom de son détenteur et éventuellement la mention "avec ses compliments" comme on le fait parfois en France ou encore ne comportant pas des informations suffisantes sur sa société est donc à proscrire. Pour ceux qui s'interrogent sur le bien-fondé de la faire imprimer, même si cela est parfois coûteux et difficile en France, en français au recto et en japonais au verso, ils devineront, je suppose, la réponse que je leur conseille... vivement! Et ils sauront de plus ce qu'il convient de dire au moment de la remettre à celui qui sera peut-être leur futur partenaire, en la tenant respectueusement des deux mains et non pas de façon nonchalante à une main, tout en s'inclinant non moins respectueusement, et ce quelque soit le statut de celui qui est en face. Et dernier petit conseil: lorsqu'ils auront eux-même reçu avec ce même rituel celle de leur interlocuteur, qu'ils ne la rangent pas négligemment dans une poche où la jettent dans leur attaché-case: la déposer, au contraire, avec attention et soin, dans un porte-carte, si possible d'une de ces marques qui font le renom du luxe français (auquel les Japonais sont si sensibles...!), c'est, en un seul geste presque anodin, montrer tout l'intérêt et le respect que l'on porte à son homologue nippon...
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