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Mon Japon à moi
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22 septembre 2008

Le Japon s'invite en France

"Le péril jaune" est une notion plus que centenaire. Et s'il n'en a l'exclusivité, le Japon a souvent eu l'honneur d'incarner ce péril... Alors même que sa culture exotique avait suscité intérêt et admiration durant la fin du XIXème siècle à travers ce qu'on a appelé le "japonisme", dès 1905 et sa victoire sur la "Grande Russie", ce petit pays a été montré du doigt par la "blanche" Europe et désigné comme danger potentiel ou avéré. Bien des années plus tard, alors qu'encore une fois l'Europe en général, et la France en particulier, redécouvrait le Japon et son potentiel industriel et économique, ce dernier ne tarda pas à se transformer, dans la bouche de nos dirigeants et dans l'esprit du grand public, de partenaire commercial attrayant en dangereux concurrent. Voire même en envahisseur sans scrupule et responsable de toutes nos difficultés. On se souvient de l'épisode grotesque des magnétoscopes japonais arrêtés à Poitiers ou de la description du peuple japonais que fit celle qui demeure à ce jour notre seule "Première" Ministre...  Il est toujours aisé d'accuser l'étranger de tous les maux pour masquer ses propres faiblesses, et il est souvent d'usage de rejeter sur l'autre la responsabilité de ses propres incapacités. L'arme est toujours d'actualité, et m'est avis que la Chine d'aujourd'hui en fait les frais: au risque de décrédibiliser les critiques justifiées, il est, je pense, une fâcheuse tendance à vouloir réveiller en nous cette crainte du "jaune" en lui imputant la responsabilité de tous nos déboires et de tous nos ennuis...

Pourtant, en cette année 2008 qui commémore le 150ème anniversaire des relations diplomatiques franco-japonaises, j'ai la ferme sensation que, peut-être pour la première fois, la France a admis le Japon comme pays ami - et en tant que franco-japonais d'origine, j'aurais tendance à non seulement m'en satisfaire mais à réellement m'en réjouir! Car si le Japon est incontestablement présent en France depuis bien des années déjà, il me semble qu'un pas tout à fait exceptionnel a été franchi. En toute discrétion, sans véritablement faire de vagues ou suciter les commentaires. Je m'en explique dans la conférence que je propose cette année "150 ans de relations franco-japonaises", je voudrais en dire deux mots ici.

En effet, cela fait plusieurs décennies que notre environnement proche et notre vie de tous les jours sont entourés de produits originaires du Japon. Bien sûr, je pense à tout ce qui concerne l'audiovisuel, depuis les téléviseurs jusqu'aux consoles de jeux en passant par les magnétoscopes, lecteurs CD et DVD, appareils photos et autres camescopes. Je n'imagine pas un seul foyer français ne croisant pas, au moins une fois par jour, une marque nippone. Ou un employé de bureau n'utilisant un matériel made in Japan. Je pense aussi bien entendu à nos moyens de locomotion, automobiles et surtout motos. De très nombreux compatriotes pratiquent des arts martiaux, et si certains d'entre eux le sont encore de façon assez confidentielle, le Judo est l'un des sports les plus pratiqués en France. Mais bien que notre vie soit à ce niveau très "japonisée", la France a toujours regardé le Japon comme un pays lointain, exotique, dont certes les produits manufacturés étaient appréciés, mais dont la culture demeurait très élognée voire même incompréhensible, car trop différente de la nôtre.   

Mais depuis peu, l'attitude de la France vis-à-vis du Japon a changé. Sans même s'en rendre véritablement compte, la culture française d'aujourd'hui a non seulement importé, mais véritablement intégré en elle bon nombre de "japonaiseries". Et aujourd'hui, ces choses japonaises, que l'on considérait hier encore comme exotiques, nous sont devenues familières et font quasiment partie, non plus seulement de notre quotidien, mais de notre culture et notre façon de penser. Le plus évident des exemples illustrant ce constat est sans doute la cuisine japonaise. Jusqu'à il y a quelques années encore, les sushi ou autres yakitori étaient certes appréciés, mais demeuraient des plats exotiques que l'on dégustait en ayant conscience de manger "étranger". Aller manger dans un restaurant japonais était une démarche originale, une sorte de voyage dans une culture gastronomique très éloignée de la notre. Or force est de constater qu'aujourd'hui, même si la cuisine japonaise reste bien sûr une cuisine étrangère, de très nombreux Français ne la contemplent plus avec la même distance. Ils l'ont intégrée dans leur mode d'alimentation quasiment au même titre que la pizza ou le couscous, qu'on déguste sans vraiment penser italien ou maghrébin. A Paris beaucoup plus qu'en province, certes. Mais il est tout à fait suprenant de voir avec quel naturel bien des parisiens, et surtout bien des parisiennes, choisissent de manger japonais pour leur déjeuner. On commande aujourd'hui un assortiment de sushi ou de maki (même sans en connaître la véritable définition...) avec la même aisance qu'on demandait hier un steack-frites-salade...

Autre exemple encore plus surprenant, le manga. Véritable invention d'origine japonaise, puisqu'on la doit notamment aux grands maîtres qui ont réalisé les estampes les plus célèbres comme Hokusai ou Hiroshige, le manga est aujourd'hui partie intégrante de la culture... française! A l'origine, une poignée d'originaux qui, il y a environ vingt ans je crois, tente l'aventure d'importer du Japon ce qui est l'objet de leur passion et de le faire connaitre et de le diffuser en France: la librairie Tonkam est alors ce qu'est le manga à l'époque, c'est-à-dire un nom ou un mot que seuls quelques très rares initiés connaissent. Mais il se trouve que dans le même temps, une jeune femme, Dorothée pour ne pas la nommer, et sans doute autour d'elle toute une équipe de la télévision française, décide de diffuser sur nos petits écrans des dessins animés d'origine japonaise, dont bien des titres sont la version "animée" d'histoires originellement racontées dans les manga. Ceux-ci, on s'en souvient, ont souvent été critiqués pour leur qualité graphique jugée bien médiocre, ou pour la (supposée?) violence qu'ils suggéraient ou montraient explicitement. Il n'en demeure pas moins que si l'on observe ce que les manga et les "anime" sont devenus aujourd'hui, le constat est véritablement surprenant. Car cette fois-ci, il n'est plus question de parisianisme. Le "tsunami" du manga s'est propagé dans toute la France, par ailleurs grande consommatrice de BD, et avec quelle ampleur! Coté professionnel, il n'est pratiquement plus un éditeur de livres pour la jeunesse qui n'ait sa collection de manga. Il n'est plus une librairie en France qui n'ait son rayon de manga. Et non pas de façon confidentielle: observez n'importe quel magasin de la FNAC, les manga s'y sont installés de façon impressionnante, et leurs rayons couvrent des murs entiers! Et plus remarquable encore, les manga n'ont pas fait qu'envahir les "majors", mais également toutes les petites librairies de quartier dans toutes les villes de France, faisant ainsi de notre pays le deuxième plus gros consommateur de manga du monde après le Japon! Et parallèlement à cette déferlante, les salons, manifestations ou événements liés à cette culture manga, à laquelle se greffent celle de l'animation ou encore celle du Cosplay, n'en finissent pas de se créer partout en France ou de se développer et de connaitre des succès et des records d'affluence sans cesse battus d'une année sur l'autre. Le premier d'entre eux, par la taille, le nombre d'exposants et la fréquentation, la Japan Expo, devient un véritable phénomène de société. Avec, pour son édition 2008, plus de 120.000 visiteurs (payants!) en quatre jours, cet événement, le plus important d'Europe, parvient non seulement à réunir les initiés et fans de cette culture, mais retient l'attention des média nationaux (on en parle dans les "20 heures" des plus grandes chaines françaises) et même... japonais! Cette année, outre la presse généraliste ou spécialisée, il y eut même des articles à ce sujet dans le très sérieux Nihon Keizai Shimbun ou Nikkei, premier quotidien économique nippon, évoquant l'importance du business que génére ce salon. Et même s'il ne sont en terme de chiffres aucunement comparables, des salons tels que le "Mang'Azur" à Toulon ou "Japan Sun" à Montpellier connaissent un succès remarquable et vraiment étonnant.

Mais ce qui me paraît constituer une véritable évolution, sinon une révolution, est peut-être moins visible de prime abord mais encore plus surprenant. L'intégration de la culture japonaise dans la culture française est aujourd'hui manifeste dans l'utilisation de mots (et donc d'idées, de concets ou de produits) japonais dans notre langue de tous les jours. Et ce qui est le plus remarquable, c'est que ces mots, d'origine japonaise donc, n'ont plus besoin d'être expliqués pour être compris par le plus grand nombre. Ils sont pratiquement devenus des mots français... Le plus connu d'entre eux est sans doute le mot zen. Je n'ai même plus moi-même à l'écrire en italique comme je le fais dans ce blog pour tous les mots japonais. Le mot zen est devenu un mot du vocabulaire courant des Français, avec sa propre définition, sans grand rapport avec la religion dont il est issu. Mais il y a bien d'autres exemples. Allez dans un restaurant gastronomique français, où l'on sert donc cette fameuse cuisine française qui est un des fleurons de notre culture: non seulement elle a été fortement influencée depuis des années déjà par la gastronomie japonaise et s'en est inspirée pour se renouveler fortement, en terme de présentation, de techniques de cuisson ou d'utilisation discrète de quantité d'ingrédients d'origine japonaise comme la sauce de soja, mais de plus il n'est plus rare d'y voir, sur les cartes et menus, des beignets ou fritures "façon Tempura". L'influence japonaise s'affiche ouvertement et s'intègre sans réticence. J'ai été personnellement stupéfait de lire les multiples références au Japon et aux produits de sa gastronomie dans le livre d'Eric Fréchon, chef du restaurant Le Bristol, l'une des meilleures tables de Paris.

Et, pour abréger une liste d'exemples qui serait très véritablement très longue, je dirais pour terminer cet article que ce qui m'a récemment le plus surpris est l'utilisation par l'opérateur téléphonique Orange d'un mot japonais pour baptiser l'ensemble des forfaits qu'ils proposent pour les téléphones portables: les "forfaits origami". Et là, un véritable pas est franchi. Les services de marketing et de communication (je suppose...) de cet opérateur ont choisi un mot japonais pour vendre des produits et services qui n'ont strictement aucun rapport avec le Japon! Bien sûr auront-ils joué sur un certain exotisme pour attirer l'attention et la curiosité du consommateur. Mais c'est en même temps l'utilisation délibérée d'un mot qui se remarque sans doute mais ne choque pas. Le mot qui désigne les petites cocottes et autres pliages en papier nous est devenu aussi familier que zen, kamikaze, tsunami ou autres manga. Ce sont désormais des mots français à part entière...
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Commentaires
I
C'est très bien que la culture japonaise s'intègre dans la culture française, même si j'ai peur de devoir attendre un bon moment avant de voir un dorama sur une chaîne nationale XD
J
Et bien tant mieux !!!<br /> De toute façon, avec Internet et les nouveaux moyens de communication et d'information, le lien entre les 2 pays ne peut que mieux se developper.<br /> <br /> Bravo pour ton commentaire ;)
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