Sales gaijin!
Je parcours volontiers les sites ou les blogs francophones sur le Japon, et je m'aperçois qu'un thème y est souvent évoqué: celui du racisme au Japon. Il est souvent fait état, en vrac, d'un fort courant nationaliste, de manifestations anti-américaines à répétition, de forte méfiance à l'égard des étrangers ou de crainte face à l'immigration... et cela conduit bien souvent leurs auteurs à parler de racisme. Quand je lis cela, je ressens comme une grande confusion dans les propos comme dans les réflexions. Permettez donc que j'y glisse mon grain de sel personnel.
La première chose que j'aimerais dire, pour bien poser ce que je considère être la règle générale qui concerne la plus grande majorité des Japonais, c'est qu'un étranger qui visite le Japon est, comme tout autre touriste ou visiteur, japonais ou non, extrêmement bien accueilli. Si la façon de recevoir au Japon est quasi légendaire, ce n'est sûrement pas pour rien. Et d'autre part, concernant les étrangers qui y résident, je n'ai pas le souvenir d'avoir entendu une personne déclarer avoir quitté le Japon pour cause de racisme. Et si les corréens ou autres chinois ont quelques raisons, assez justifiées me semble-t-il, de se plaindre du comportement de certains Japonais, la très grande majorité des occidentaux, et des Français en particulier, vivent au Japon une vie de privilégiés, n'en déplaise à l'auteur du roman, par ailleurs fort drôle, qu'est "Stupeur et tremblements": cet ouvrage a eu, à mon sens, le déplorable effet de laisser croire aux faibles d'esprit que le Japon pouvait être la caricature qu'elle en fait...
Il est vrai cependant que tout n'est pas aussi rose et paradisiaque, et prétendre qu'il n'y a aucune forme de racisme au Japon serait stupide. D'autant que le Japon est, pour moi, le pays par excellence où l'on peut trouver tous les extrêmes, et pas seulement orientaux...! Alors, entre ceux qui nient cette réalité et ceux qui l'exagèrent, où se situe la vérité? Voici mon point de vue. Et, encore une fois, vous voudrez bien pardonner des affirmations assez générales, je m'empresse de redire que oui, on pourra toujours trouver des exceptions...qui les confirment bien plus qu'elles ne les contredisent!
Je crois pouvoir dire tout d'abord qu'il n'y a pas de racisme au Japon tel qu'on peut le trouver en Europe, et en particulier en France. Parce que l'histoire est différente, parce que la culture est différente, parce que la philosophie est différente, on ne peut, sans tomber dans l'erreur, qualifier de raciste telle ou telle attitude ou parole japonaise en attribuant à ce mot la même signification qu'en français. Nous atteignons là les limites de la traduction standard, celle des dictionnaires. S'il y a une quelconque forme de racisme ou de xénophobie au Japon, elle ne peut être similaire à ce qu'est ou serait le racisme à la française. Ceci posé, je me retrouve comme tout le monde, placé dans l'obligation d'utiliser ces termes. Mais c'est précisément pour cela que je tenais, au préalable, à y apporter cette réserve.
D'autre part, je voudrais aussi rappeler que le Japon est un pays comme les autres: lorsqu'il contemple le monde et définit sa place dans le contexte international, il se positionne au centre! Un peu dans le même esprit que la Chine, qui s'appelle dans sa propore langue "l'Empire du milieu". Je me rappelle mon enfance, et cela m'a très vite interpelé - et amusé - de consulter les cartes du mondes de pays différents. Avez-vous constaté que le pays qui la conçoit se met toujours au milieu? Regardez une carte mondiale française, la France est au centre, le Japon à droite et l'Amérique à gauche. Et observez son équivalente japonaise, le Japon est au milieu, la France à gauche et l'Amérique à droite! Et si la manière française de concevoir les cartes semble plus conforme et logique, avec l'est à droite et l'ouest à gauche, c'est tout simplement grâce à Greenwich... Tout cela pour dire combien il est naturel pour tout pays de se considérer un peu au centre du monde, et, finalement, pour certaines composantes de sa population, de tomber dans le piège du complexe de supérorité voire pire, du racisme ou de la xénophobie.
En outre, le Japon est une île, ou plus précisément un archipel, qui donc très naturellement n'a pas permis, au cours des siècles passés, de brassages importants de populations de diverses origines comme notre pays a pu en connaitre, notamment parce qu'il a de multiples frontières communes avec ses voisins. Ajoutez à cela la période historique, finalement encore assez proche de nous, où le Japon fut, sur décision politique, quasi intégralement fermé aux échanges internationaux, et vous comprendrez pourquoi beaucoup de Japonais se considèrent, à tort ou à raison, comme une population un peu à part. C'est effectivement une nation qui n'a pas pu connaitre la mixité raciale et le métissage comme nous les avons nous-même connus tout au long de notre histoire.
Alors oui, certaines composantes de cette population ont une mentalité et un comportement extrême qu'on peut qualifier de raciste. Oui, d'autres sont éminemment nationalistes. Qui agissent ou s'expriment de façon parfois détestable. Ceci dit, je ne crois pas que notre pays ait quelque argument pour se sentir moins critiquable à ce sujet, suivez donc mon regard qui se tourne vers les profanateurs de cimetierres ou autres prétendus "supporters" de nos stades de football... Et je trouve un peu déplacé de notre part de prétendre qu'au Japon le nombre des nationalistes et de leurs supporters serait inquiètant, lorsque dans le même temps, nous sommes capables de conduire un dirigeant du Front National au second tour d'une élection présidentielle... Mais je crois que la très grande majorité des Japonais est avant tout patriotique, animée du sentiment d'être profondément et avant tout japonais, un sentiment comparable à... tout simplement celui que nous ressentons, ce même sentiment profond d'être français. Avec la même légitimité et le plus souvent les même raisons pour le justifier. Je crois, par exemple, que presque tous les êtres de ce monde, où que leur vie les ait conduit, éprouvent dans leurs derniers jours le besoin de retrouver leur racines originelles et souhaitent être enterrés dans la terre de leurs ancêtres et qui les a vu naître...
Et je crois surtout que, comme je l'ai dit au début de cet article, ce qu'on identifie et nomme "racisme" pour qualifier certains comportements, n'est pas un racisme comparable à celui qu'on connait ou qu'on a connu en occident en général et chez nous en particulier, et qui a abouti aux pages les plus sombres de notre histoire récente. Je crois que, contrairement à nous, qui avons, dans le passé, inventé le concept de supériorité d'une race sur une autre, d'une couleur de peau sur une autre ou d'une religion sur une autre, et qui souffrons aujourd'hui encore de la présence de personnes qui en sont toujours persuadées, la plupart des Japonais contemporains ne trouvent pas dans ces raisons-là ce qui justifie leur comportement qualifié de raciste. Je crois plutot que ces Japonais-là éprouvent une crainte des étrangers, et je préciserais ici "d'une certaine catégorie d'étrangers", une peur dûe essentiellement à leur très grande méconnaissance de ces personnes. Parce qu'il n'y a pas eu de contact pendant des siècles, et qu'ils n'en ont toujours presque aucun. Et parce que les Japonais, s'ils reçoivent de très nombreuses informations concernant l'étranger, n'ont cependant pas de vécu commun qui leur permette de véritablement comprendre en profondeur les différences. Un Japonais moyen ne sait pas ce que sont véritablement ceux qui ont été ou sont les "cibles" des racistes occidentaux. A savoir essentiellement les populations juives et musulmanes. Au sujet desquelles ils entendent tout et n'importe quoi. Mais sans les connaitre comme nous. Il n'y a pas (ou c'est de l'ordre de l'infime) de Japonais juif ou musulman comme il y a des Français juifs ou musulmans. Et malgré des siècles d'histoire commune, de nombreux compatriotes confondent encore allègrement les termes de juif, israélite, israélien, arabe, musulman, islamique, islamiste, sioniste etc... Il est presque "normal" que les Japonais soient encore plus perdus que nous. Or, c'est bien connu, on a souvent peur de ce que l'on ne connait pas. Et l'on a encore plus peur si ce qu'on ne connait pas fait l'objet de critiques, de sentiments belliqueux ou d'attaques racistes. On ne peut s'empêcher de se demander si ces critiques ou attaques ne seraient pas en partie justifiées... Je crois que les Japonais ont plus peur de ces populations qu'autre chose. Et je crois qu'ils sont en vérité bien plus méfiants qu'ils ne sont réellement racistes à leur égard. Le problème des Japonais, et ce qui les conduit à être, à tort à mon avis, qualifiés de racistes, c'est leur comportemant très caractéristique qui consiste à souvent vouloir éviter les problèmes, à ne pas y être confronter, on pourrait dire à les fuire. Quitte à paraître de très mauvaise foi, le Japonais aura souvent pour réaction celle de dire "je ne sais pas" pour esquiver le problème. Telle est ainsi pour moi la véritable explication de ces quelques pancartes "Interdit aux étrangers" qu'on a pu apercevoir dans certains établissements, qui choquent ceux qui en sont exclus et les font dire que les Japonais seraient racistes. En réalité, il est bien moins question de racisme que de volonté de ne pas être confronter à une situation qui risquerait d'être conflictuelle. Une sorte de principe de précaution à la japonaise. On peut certes le déplorer et le critiquer, mais on ne doit pas pour autant le qualifier de comportement raciste.
On pourrait penser - et certains le prétendent - qu'ils le sont davantage vis-à-vis de ceux qu'ils connaissent beaucoup mieux, à savoir les populations coréennes et chinoises avec lesquelles ils partagent cette fois une grande partie de leur histoire. Mais là encore je crois que le terme de raciste est inaproprié. Car d'un point de vue racial, il n'existe guère de différence entre ces peuples. Et de plus, ils partagent non seulement leur histoire mais aussi leur culture, leur langue (écrite), leur religion... Dans l'esprit, je comparerais plus volontiers les rapports entre Japonais, Coréens et Chinois aux rapports franco-britanniques, même s'il est vrai qu'ils sont de nature bien différente. Qu'il y ait eu, au fil des siècles et de part et d'autre, une rivalité, une volonté de domination, un sentiment de supériorité, de l'ironie, du cynisme, de la haine même... sans doute. Qu'il y ait eu des épisodes sanglants, où parfois la barbarie a dépassé ce que même les hommes belliqueux considèrent comme "acceptable" en temps de guerre, certes. Et que les Japonais en soient largement responsables, c'est à mon avis indéniable. Et enfin que les politiques et les gouvernements japonais successifs n'aient pas réussi à le reconnaître et à l'assumer avec dignité, et qu'ils continuent au contraire à s'embourber dans leurs contradictions parfois provocatrices me semble indéfendable. Mais autant je crois qu'on ne peut parler de racisme entre Français et Anglais, autant j'estime que ce terme ne peut s'appliquer au sujet de ces nations asiatiques.
Les Etats-Unis représentent un cas à part. Ennemi et occupant d'hier, mais également sauveur, principal protecteur et soutien économique, le Japon sait combien ce pays l'a fait souffrir mais aussi ce qu'il lui doit... c'est-à-dire sa réussite et la place qu'il occupe dans le monde. Aujourd'hui, il est vrai que la présence américaine et surtout son influence est toujours très forte. A tel point que, lorsqu'un Japonais rencontre un "blanc", son premier réflexe sera de le prendre pour un america-jin. C'est surtout vrai chez les enfants (mais n'en va-t-il presque de-même chez nous, quand bien des petits Français voyant un asiatique, le traite d'emblée de chinois?..). Vis-à-vis des USA, le sentiment est donc mitigé. Il existe un vrai ressentiment de la part de nombreux Japonais qui souhaiteraient que leur pays s'affranchisse totalement d'une sorte de protectorat permanent, et les plus extrêmistes de cette composante n'hésitent pas à manifester ouvertement leur hostilité à l'égard des Américains dès qu'ils en ont l'occasion (par exemple, à la suite d'un crime ou délit occasionné par un ressortissant US ou un militaire basé au Japon. Ce n'est pas si fréquent, mais quand cela arrive, cela est souligné avec insistance... de la même manière qu'on a énormément médiatisé, à l'époque, l'histoire du Japonais cannibale, alors qu'il ne s'agissait bien entendu que du cas isolé d'un cinglé...). Et je soupçonne les politiciens japonais de souvent les laisser faire et peut-être même les aider dans l'ombre, eux-même ne parvenant pas à exprimer ouvertement combien cette dépendance leur pèse parfois (notamment quand les Etats-Unis les "prient" de les soutenir militairement dans les conflits qu'ils engagent, je pense bien sûr à l'Iraq par exemple). Mais les manifestations en particulier, et les diverses réactions anti-américaines de façon plus générale n'ont définitivement aucune espèce de rapport avec du racisme ou de la xénophobie. A-t-on jamais traité le Général de Gaulle de raciste parce qu'il a souhaité que la France puisse s'affranchir autant que faire se peut de la tutelle américaine? De même, il serait stupide de parler de racisme au sujet de ces agitateurs, même si d'autre part, leur façon de procéder est en elle-même souvent condamnable.
Le Japon est aujourd'hui un pays que je juge en proie aux doutes et à des craintes profondes, qui conduisent les plus faibles ou les plus fragilisés de sa population à avoir un sentiment de méfiance exagéré. Un contexte économique qui n'est plus aussi florissant qu'il l'était, et ce même si le Japon est toujours la deuxième puissance économique mondiale et sa population l'une des plus aisées de la planète. Un pouvoir d'achat en baisse, un taux de chômage en augmentation, et surtout une population qui non seulement vieillit, mais qui surtout a commencé à diminuer, la faute à un taux de natalité insuffisant pour ne serait-ce que maintenir l'équilibre. Ceci dit, beaucoup d'observateurs non dénués de perspicacité jugent cette tendance plutôt positive, estimant leur pays surpeuplé par rapport à sa superficie habitable. De façon générale, le Japon, qui avait parfaitement réussi à tirer le meilleur du système capitaliste, s'était un peu trop vite persuadé qu'il avait compris mieux que personne comment exploiter ce système pour n'en retirer que les bienfaits. Et aujourd'hui, il commence à se rendre compte qu'il a lui aussi hérité de ses aspects négatifs... Le monde qui l'entoure se développe lui aussi et réclame sa part du gâteau. Et ceux qui ont dû jusqu'ici capituler face à la puissance économique et financière du Japon commencent à pouvoir rivaliser et imposer leur règles. Le Japon va de défis en défis, le prochain étant sans doute celui posé par la raréfaction de sa main d'oeuvre: il sait que sa seule issue s'appelle "immigration". C'est-à-dire un appel à des gens différents et qu'ils ne connaissent pas bien. D'où cette méfiance que je disais exagérée de la part de certains et qui s'exprime parfois de façon maladroite, et parfois de façon condamnable.
Pour conclure et résumer ces propos, je dirais que oui, certains Japonais ont un comportement coupable envers les étrangers. Oui, il est vrai que certains traitent les étrangers de sales gaijin. Oui, il y a comme partout des êtres vraiment racistes. Mais ceux-ci sont à mon avis d'un nombre extrêmement limité et je crois que ceux qui parlent de racisme pour expliquer le comportement méfiant de beaucoup de Japonais et qualifier certaines de leurs réactions, qui ne sont que protectionnistes parce que causées par la crainte, mais qui peuvent parfois suggérer la ségrégation et sont, en tout état de cause, assez maladroites, commettent d'après moi une erreur fondamentale de jugement et de compréhension de la mentalité japonaise. Et si j'avais à donner un conseil, ce serait celui de ne pas tomber dans le piège des titres à sensations ou des articles manipulateurs de certains journaux ou aujourd'hui de sites internet ou de blogs, piège souvent tendu par une presse, étrangère et même parfois japonaise, qui s'apparente bien plus aux tabloïds de caniveau qu'à un journalisme de qualité. Et surtout de ne pas prendre ces titres à sensations, qui relatent des faits qui relèvent surtout de l'exception, et d'en faire une généralité...
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