Bêtement disciplinés?
On dit souvent que la mentalité japonaise et la mentalité française sont très différentes, voire même opposées. Je reviendrai sans doute sur cette affirmation sur laquelle j'ai beaucoup de réserves. Mais je dois reconnaitre que parfois, elle se vérifie. En voici un exemple.
En France, on a généralement des Japonais l'image d'un peuple extrêmement discipliné. Difficile de prétendre le contraire lorsqu'on se ballade dans Tōkyō. Pour traverser une rue, impensable de le faire en dehors d'un passage protégé devant lequel on attendra patiemment que le feu passe au vert. Circulation ou pas. Il n'est pas rare de voir une personne immobile à un feu rouge à trois heures du matin alors que la rue qu'elle veut traverser est totalement vide. Et pour faciliter le flot des piétons dans les carrefours qui sont envahis aux heures de pointe, on a même prévu des passages en diagonale où, chose assez étrange, on ne se bouscule pas autant qu'on pourrait l'imaginer au moment où les flots de piétons se croisent...
Que ce la soit pour les piétons ou pour les voitures, les routes sont littéralement recouvertes de peinture. A Tōkyō, on ne tourne pas à gauche ou à droite impunément et au dernier moment, il faut se mettre bien avant dans la bonne file. Ce qui, au passage, ne facilite vraiment pas la vie des provinciaux ou des étrangers qui ne connaissent pas forcément leur chemin, et les panneaux indicateurs ne sont pas toujours d'une grande aide.
Lorsqu'il est question de constituer une queue dans la rue, et ceci arrive très fréquemment devant des boutiques juste avant leur ouverture, devant des restaurants réputés mais très vite pleins à midi, pour attendre le débur d'une séance de cinéma etc..., il sera hors de question que celle-ci gêne le reste des piétons.
Dans les stations de métros et gares de trains aériens, dont les plus importantes atteignent plusieurs millions de voyageurs/jour, la plupart des couloirs et escaliers sont clairement séparés en deux zones, pour que les usagers ne se mélangent et ne se bousculent pas.
On pourrait ainsi multiplier les exemples de discipline au Japon. Et les étendre au rapports hiérarchiques entre supérieurs et subalternes dans les sociétés, entres professeurs et élèves dans les écoles, jusqu'aux... touristes qu'on voit débarquer à Paris en groupes bien structurés, bien disciplinés. Et parfois, on devine le regard un peu moqueur des Parisiens dont on devine la pensée: "disciplinés? oui, admirablement disciplinés. Un peu bêtement disciplinés, même..."
Parce qu'en France, on a une tradition solidement ancrée dans nos esprits gaulois: apporter la contradiction à l'autorité. Celle-ci veut nous obliger à agir d'une certaine manière, notre premier réflexe sera souvent de nous demander comment contourner cette obligation. Parce que l'autorité, qui s'exprime à travers la loi, les décrets et autres règlements, ne prend en compte, comment en serait-il autrement, que l'intérêt général. L'individu cherchera souvent à affirmer son indépendance et son existence en prenant des initiatives qui lui semblent, à lui, adaptées et justes, même si elles s'opposent à ce que lui dicte la loi. Une rue est vide? Je la traverse, même si le feu est rouge. Et même si la loi a prévu une sanction pour ce qui reste une infraction, il n'est pas un agent de police qui songera à verbaliser un piéton pour cela...
D'un point de vue beaucoup plus général, la mentalité française se caractérise par le refus de la soumission docile et aveugle à l'autorité et glorifie la résistance. Jusqu'à lui attribuer une majuscule lorsqu'elle est historique. L'événement historique le plus important de notre Histoire est sans aucun doute la Révolution de 1789. L'abbé Pierre est sans doute autant admiré par le bien qu'il a fait que par sa capacité à se dresser contre ce qu'il considérait comme indécent. L'insurrection est louée lorsqu'elle est celle de la bonté. Celui qui s'oppose à la loi, quand il considère qu'elle a tort, est un héros.
Beaucoup de nos concitoyens confondent me semble-t-il héros de la résistance avec indiscipline ou individualisme. Pour satisfaire son ego ou s'imaginer être un grand résistant ou opposant. Au détriment du respect de l'intérêt général. Le cafetier de Lyon qui, pour se faire un gros coup de pub, brave l'interdiction de fumer dans les lieux publics clos en invoquant des raisons soi-disant artistiques. Le Prost de pacotille qui se croit malin de rouler seul à 130 sur une nationale alors que tous les autres observent la limitation de vitesse, qui ralentit comme un malade en croisant un radar et réaccélère juste après... Là encore, les exemples sont innombrables.
En conclusion de ce constat, je risquerais cette petite réflexion: seul l'excès me semble condamnable. Autant celui qui attend pour traverser une rue vide que le feu passe au rouge, au beau milieu de la nuit, me semble un peu benêt, autant celui qui confond résistance et individualisme forcené me paraît être dans l'erreur. Il y a du bon à butiner aussi bien dans la mentalité française que dans l'attitude japonaise. Et peut-être que si un peu plus d'initiatives personnelles feraient du bien aux Japonais, un peu plus de discipline serait me semble-t-il très profitable aux Français... enfin à certains!
Alors, d'après vous, discipline ou insoumission?
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